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Vers la normalisation de l'état d'exception ?

S’interroger de savoir si finalement ces différents états d’exception ne finissent pas Par devenir des états normaux ? Par transfigurer l’Etat de droit ?

A retenir :

En principe, un état d’urgence c’est un état d’exception, c’est une modalité de l’EDD qui va lui permettre de fonctionner face à une menace particulièrement grave, mais ces états d’urgence doivent être nécessairement temporaires, les plus courts possibles. On doit revenir au fonctionnement normal des pouvoirs lorsque la menace grave n’existe plus. Or, depuis 2015, on vit quasiment sans interruption sous état d’urgence

 La contamination de l’état de droit par les états d’exceptions

la dilution temporelle et matérielle de l'EU

Depuis 2015 on assiste à une prolongation indéfinie de l’état d’urgence et à une incorporation des états d’urgence dans le droit commun.


Il y a tout d’abord les prolongations indéfinies des états d’urgence.


En principe : un état d’urgence est un outil qui permet de faire face à une menace grave. Lorsque cet événement disparaît l’état d’urgence doit disparaître avec lui. Or, depuis 2015, il y a toute une série de loi de prorogation des états d’urgence


EX1 : l'état d'urgence sécuritaire : qui a fait l’objet de 6 loi de prorogation entre le 20 novembre 2015 et le 11 juillet 2017. Et notamment, la prorogation de mai 2016 se fait en prévision de l’euro de football et non pour un motif de risques d’attentats. Celle de juillet 2016 proroge de 6 mois à cause de l’attentat de Nice.


EX 2 : l'état d'urgence sanitaire :il a été initié en mars 2020 et semble avoir été terminé en juillet 2022. Là aussi, il y a eu une multiplication des lois de prorogations ( 13 au total ). Certains auteurs ont décrit cela comme une course sans fin entre l’épidémie et la loi.


Ce qu’il y a de nouveau, outre le fait du nombre des prorogations, c’est que certaines lois vont mettre en oeuvre des régimes d’états d’urgences transitoires. Pourquoi ? Ce sont en fait des EU innomés, même si le mot n’est pas prononcé. Un EU qui ne dit pas son nom. Elles vont générer une nouvelle catégorie juridique entre l’état de droit et les régimes d’EU. 


EX1 : la loi de 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, va créer un régime un peu nouveau : le déconfinement. Elle allège progressivement les mesures restrictives de libertés, avec quand même des restrictions qui vont demeurer comme la fermeture de certains lieux.


EX 2 : la loi de 9 juillet 2020  organisant la sortie du régime transitoire. Là encore, le pouvoir public se dote d’outils pour interdire certains rassemblements, fermeture d’établissement etc.. Seul le confinement ne peut plus être mis en place.


EX 3 : : Une autre loi encore, instaure un régime transitoire plus rigoureux comme les couvres feux, l’obligation de faire des tests de dépistage pour circuler, la présentation d’un passe sanitaire pour les rassemblements etc


EX 4 :  La loi du 5 aout 2021 met en place un régime transitoire aussi, avec de nouvelles mesures qui pourront être prise par les pouvoirs publics comme l’extension du périmètre du passe, l’obligation de vaccination pour les professionnels de santé, l’isolement qui va être rendu systématique .


EX 5 : la loi du 30 juillet 2022, qui mettent fin au régime d’exception créée pour gérer la crise sanitaire ----> on est plus dans un régime d'exception ou transitoire mais cette loi permet de donner au premier ministre des pouvoirs en matières sanitaires en dehors de tout régime d’exception ou d’état d’urgence sanitaire. 




L’autre brouillage temporel est dû au fait qu’on va progressivement codifier, incorporer l’état d’urgence dans le droit commun


C’est ce qui s’est passé avec l’état d’urgence sécuritaire et avec l’état d’urgence sanitaire.


EX 1 : Pendant l’état d’urgence sécuritaire on a une loi du juillet 2016, prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste. Cette loi comporte deux parties: le Titre I porte sur l’état d’urgence et le Titre II sur le renforcement de la lutte antiterroriste. cette loi va modifier plusieurs codes : CP, CPC, Code de la sécurité intérieure et à chaque fois on crée de nouveaux outils qu’on incorpore dans ces codes de droit commun.


=> On codifie des mesures qui concernent l’état d’urgence dans des codes de droit commun


EX 2 : État d’urgence sanitaire : la loi du 23 mars 2020 a 2 objets : on modifie le CSP et on instaure l’état d’urgence. Cette loi elle était prévue de manière temporaire, mais on a modifié de manière pérenne le CSP. Et on a modifié la partie du CSP qui était relative aux menaces sanitaires graves, en permettant au ministre de la santé de prendre le relais une fois l’état d’urgence sanitaire terminé.

Le débat autour de la constitutionnalisation de l’état d’urgence

Une partie de la doctrine constitutionnaliste a posé la question de savoir s’il ne faudrait pas inscrire dans la Constitution l’état d’urgence au côté d’autres états d’exception ?


deux comité de réflexion en 1993 et 2007 ont proposé d'intégrer l'EU dans le texte de la constitution . ce sujet est redevenu pertinent après les attentats de novembre 2015 lorsque le président Hollande a suggéré une évolution constitutionnelle pour mieux lutter contre le terroriste ----> un projet de loi constitutionnelle en 2015 visant à protéger la nation a suscité des controverses notamment un raison de certaines dispositions jugées inacceptables par l'opinion publique et le parlement .


le débat reste vif, avec des arguments divergents :


  • certaines estiment que la JP du CC a déjà constitutionnalisé l'état d'urgence.
  • d'autres plaident pour une constitutionnalisation de l'EU pour encadrer les mesures gouvernementales .
  • Pour certains il y a un danger pour l’EDD à constitutionnaliser l’état d’urgence. Danger de confondre les dispositifs d’exception et la norme.

A: L’inadaptation de l’état d’urgence aux « crises » actuelles

plusieurs causes permettant de croire que ces états d'urgence sont inadaptés aux crises actuelles :


  • Le mot crise renvoie à quelque chose de temporaire normalement. Or, on peut se poser la question de savoir si le terrorisme et l’épidémie ne sont pas des menaces permanentes. Y a-t-il vraiment une adaptation de l’état d’urgence face à des événements qui ne sont pas temporaires ?


  • De plus, l’état d’urgence tel que nous le connaissons semble inadapté car le dispositif de l’état d’urgence doit être mis en oeuvre quand il n’y a pas d’autres moyens de faire face au péril imminent. Or, certains juristes ont souligné le fait que les dispositifs normaux auraient suffit à prendre les mesures qui étaient rendues nécessaires par les deux états d’urgence.


EX1 : sous l'état d'urgence sécuritaire : avant 2015, le Gouvernement disposait de tout un arsenal législatif lui permettant de faire face à la menace terroriste.

  •  en 1986, déjà dans cette loi, l’Etat français commence à se doter de tout un arsenal juridique (création du parquet national anti terroriste ; l’extension des procédures de GAV pour infraction terroriste).
  • loi 15 novembre 2001, dans laquelle on étend les pouvoirs de police en matière de contrôles d’identité, de fouilles, de perquisitions .
  • loi de 2003, fichier automatisé .
  • loi mars 2011, mesure de surveillance informatique, à l’étranger.


Donc : Le dispositif de l’état d’urgence est-il adapté alors qu’on dispose d’un arsenal juridique conséquent ? Est-il adapté face à ces menaces particulières qui sont des menaces qui doivent inscrire l’action des pouvoirs publics sur le long terme ? 

B:  La dilution matérielle de l’état d’urgence dans le droit commun

Chaque état d’exception qui a été appliqué en France, et en particulier les états d’urgence, va laisser des traces dans le système juridique de l’EDD. 


L’état d’urgence va prendre fin, mais on va retrouver dans le système du droit commun des outils qui en principe relèvent de l’exception ----->  la doctrine a relevé plusieurs impacts des mécanismes de l’exception dans le droit commun : 


  •  L’effet de halo de l’état d’urgence : il y a une tendance à une sorte d’absorption, de débordement de l’état d’urgence vers d’autres politiques publiques: Au fur à mesure de l’application de ces états d’urgence il y a une sorte de débordement de ces états d’exception pour affronter d’autres menaces que ceux initialement prévus.


Ex : sous l'état d'urgence sécuritaire :   beaucoup des mesures concernées non pas des personnes qui avaient fait l’objet de mesure d’urgence, ou qui étaient soupçonnées d’infractions terroristes, mais des personnes ou des groupes qui faisaient l’objet d’autres actions policières et à qui on reprochait une forme de radicalité politique.


  • L’effet cliquet de l’état d’urgence : l’état d’urgence va laisser des traces, il va y avoir une forme de sédimentation juridique . ». A chaque fin d’état d’urgence, on ne reviendrait pas à la normale, et chaque état d’urgence laisserait dans le droit commun des traces permanentes .


EX1 :  un nouveau rapport de forces entre les pouvoirs publics au bénéfice du gouvernement sur l’action du Parlement, où le rôle apparaît en second.


EX 2 : L’état d’urgence va contribuer à mettre en place de nouvelles techniques de gouvernement. Ce que la doctrine appelle la mise en place d’une société de la surveillance généralisée. 


  • L’effet de banalisation de l’état d’urgence dans le droit commun. Certaines AAI, comme le défenseur des droits ou la commission nationale des DH ont pu parler d’état d’urgence permanent.


EX : L’état d’urgence sécuritaire qui a pris fin en 2017 : la veille de son extinction une loi est promulguée, loi du 1er novembre 2017 sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT) .Cette loi va reprendre certains outils de l’état d’urgence sécuritaire : les contrôles d’identité sans motif particulier ; la possibilité d’instaurer des couvre-feux ; la possibilité de recourir à des perquisitions ; à des assignations à résidence etc .


-----> apparition l'EU formel et matérielle .


Les transformations de l’Etat de droit suite à l’avènement de l’état d’urgence matériel 

Certains, comme Agamben, ont considéré que finalement ce n’était pas tant une transformation de l’EDD mais une révélation. .

Une transformation de paradigme de l’Etat de droit

A)- la consécration normative de la sécurité .


----> C’est le passage du droit à la sûreté au droit à la sécurité. Les textes fondamentaux font une différence entre les deux termes. 


  • La sûreté : le droit à la sûreté figure à l’art. 2 DDHC. C’est la protection de l’individu contre les peines privatives de liberté qui seraient arbitraires (  Ça fait appel au principe fondateur du droit pénal, le principe de la légalité des délits et des peines).Dans la DDHC la sûreté désigne bien cette garantie de la liberté individuelle, de cette protection contre l’emprisonnement, contre l’arrestation arbitraire .
  • La sécurité : chose moins précise. Pour remonter aux origines de la sécurité il faut remonter à Hobbes, la théorie du contrat social : l’homme vit dans un état de nature qui est dangereux, donc c’est un sentiment de besoin de sécurité physique, matériel, qui va pousser les hommes à s’associer dans un contrat social et à abdiquer de toutes leurs libertés, de tous leurs pouvoirs pour les remettre entre les mains d’un souverain (qu’on peut appeler aujourd’hui l’Etat). Ce besoin de sécurité va justifier, légitimer, le pouvoir absolu de ce souverain, de l’Etat.


----> la sécurité c’est la situation dans laquelle les personnes et les biens sont à l’abris des menaces qui pourraient peser sur eux. on peut la trouver dans l'article 12 de la DDHC .

A retenir :

  • droit à la sureté : associé à une conception libérale de l'Etat : vise à protéger les individus contre les abus de pouvoir de l'Etat en garantissant une certaine abstention de ce dernier dans la sphère privée .
  • droit à la sécurité : droit plus récent légitime l'action de l'Etat pour protéger les individus contre les menaces comme le terrorisme . ce droit a été formalisé par la loi de 1981 adopté dans un contexte d'insécurité économique et insécurité croissante ;

la loi de 1981 : a été significative : en soulignant que " la sécurité est la première des libertés" elle a affirmé que sans sécurité , d'autres libertés ne pouvaient pleinement exercées .


  • cette loi a introduit des mesures de répression contres les actes de violence , la torture , le trafic de stupéfiants et également a étendu les pouvoirs de police


cependant , a suscité des critiques surtout son caractère liberticide et a été abrogé par Mitterrand . .



la loi de 1995 : au fil des années d'autres lois ont continuer à renforcer la sécurité publique comme la loi de programmation relative à la sécurité de 1995 .


la loi de 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne :  La sécurité est un droit fondamental. Elle est une condition de l'exercice des libertés et de la réduction des inégalités, on a insisté sur la conception sociale de la sécurité. => La sécurité devient un concept englobant, mais aussi, on incorpore la dimension sociale de la sécurité (contre les aléas de la vie).




l'influence de l'état d'urgence sécuritaire : il faut retenir que à l'origine la notion de sécurité se concentrait sur des éléments tangibles tels que l'ordre public , la salubrité qui sont des préoccupation fondamentales pour le bon fonctionnement de l'Etat et de la société . cependant , cette vision a été élargi pour intégrer des préoccupations immatérielles comme la protection de la dignité humaine et le bien être psychologiques des individus .

----> l'état d'urgence sécuritaire a marqué un tournant car elle a mis en lumière la nécessité de répondre non seulement à des menaces physique mais aussi à un sentiment d'insécurité croissant parmi la population .


la réforme du code de la défense en 2009 : a également reflété cette évolution en déplaçant l'accent de la défense nationale vers une stratégie de sécurité nationale .



B)- La sécurité comme nouveau paradigme des libertés.



l'idée que la sécurité est une condition préalable à la liberté est devenue dominante surtout des des contexte de crise comme les états d'urgence . ainsi cela met en avant l'idée que la sécurité et la liberté ne sont pas nécessairement opposées :


  • d'une part : la sécurité est vitale pour que les citoyens puissent exercer leurs droits et libertés .
  • d'autre part : la préservation des libertés est essentielle pour assurer une sécurité durable .

cela suggère un besoin de trouver un équilibre entre les deux plutôt de les voir comme des concepts conflictuels .



Conséquences : on assite depuis 2015 à une multiplication des législations sécuritaires :


  • Loi 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui vise à encadrer certaines pratiques des renseignements. Notamment la pratique des boites noires.
  • Loi du 22 mars 2016, permet aux agents de la SNCF et RATP, de procéder à des fouilles, palpations.
  • Loi 3 juin 2016, loi qui vise à renforcer les moyens des services de renseignement, en autorisant les perquisitions de nuit.
  • Loi 30 octobre 2017, renforçant la sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT), elle prend le relais de l’état d’urgence sécuritaire qui a pris fin le jour de la promulgation de cette loi et cette loi va réaliser des glissements discursifs.( Elle reprend le dispositif des perquisitions administratives + -> Reprise aussi de la fermeture administrative des lieux de culte, qui peut être prononcée au seul fin de lutte contre le terrorisme) .
  •  Loi 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite loi séparatisme), elle fait suite à l’assassinat de Samuel Paty. Loi qui va viser à garantir les principes de la République : liberté, égalité, fraternité, et principe de laïcité( elle va incorporer dans le droit commun des outils de contrôles préventifs : -> Par exemple, quand une association est agréée par l’Etat, cet agrément est soumis à une nouvelle condition qui est la signature d’un contrat d’engagement républicain, par lequel les associations s’engagent à respecter les principes de la République + création de deux nouveaux délits : -> le délit de séparatisme : consiste à sanctionner une personne qui aurait proféré des menaces, ou intimidations, à l’encontre d’un agent public dans le but de se soustraire aux règles / infraction qui vise à lutter contre la haine sur les réseaux sociaux, délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusions d’informations relatives à la vie privée) .




C)- une transformation de l'action publique .


Cette notion de sécurité, elle vise non seulement à réprimer les atteintes à la sécurité, elle vise aussi, et de plus en plus, à les prévenir :


- Logique de répression quand l’infraction a été, ou est sur le point d’être commise. - Logique de prévention, l’infraction n’a pas encore été commise, mais l’action publique cherche à anticiper cette commission de l’infraction, ce qu’on appelle le maintien de l’ordre public.


Toute ce qui touche la sécurité, notamment à travers le cadre des lois antiterroristes, et jusqu’à une date assez récente, ces législations faisaient appel à la répression. C’est-à-dire on est dans un logique pénale . Puis transformation de cette action publique, depuis l’état d’urgence sécuritaire on recourt de moins en moins au droit pénal mais de plus en plus au droit administratif. On n’est plus dans une logique exclusivement de répression, mais dans une logique de précaution pour éviter qu’il y ait des atteintes à la sécurité publique. 


EX : loi du 30 octobre 2017, SILT, on ne va pas enrichir le code pénal, mais enrichir le code de la sécurité intérieure qui concerne beaucoup moins le droit pénal, mais surtout la logique administrative. 


On peut faire une distinction entre cette logique répressive et préventive :

  • L’action répressive c’est l’action de police judiciaire.
  • L’action préventive c’est l’action de police administrative.


Or, de plus en plus, il y a un brouillage de cette distinction entre PA et PJ, et l’état d’urgence illustre parfaitement ce brouillage :


EX 1 : Dans le cadre de l’état d’urgence sécuritaire, les perquisitions administratives qui peuvent être autorisées par le préfet, ça se fait dans une logique de police administrative. Mais, en même temps, le dispositif de la perquisition relève du droit pénal qui relève normalement de la police judiciaire, décidée par le procureur.


EX2 :  loi du 3 avril 1955, on a dit que cette loi prévoyait que tout manquement aux mesures administratives de l’état d’urgence pouvait être l’objet d’une sanction pénale. Donc on a pénalisé des manquements à des mesures administratives qui sont des mesures de préventions de maintien de l’ordre. 


Vers la normalisation de l'état d'exception ?

S’interroger de savoir si finalement ces différents états d’exception ne finissent pas Par devenir des états normaux ? Par transfigurer l’Etat de droit ?

A retenir :

En principe, un état d’urgence c’est un état d’exception, c’est une modalité de l’EDD qui va lui permettre de fonctionner face à une menace particulièrement grave, mais ces états d’urgence doivent être nécessairement temporaires, les plus courts possibles. On doit revenir au fonctionnement normal des pouvoirs lorsque la menace grave n’existe plus. Or, depuis 2015, on vit quasiment sans interruption sous état d’urgence

 La contamination de l’état de droit par les états d’exceptions

la dilution temporelle et matérielle de l'EU

Depuis 2015 on assiste à une prolongation indéfinie de l’état d’urgence et à une incorporation des états d’urgence dans le droit commun.


Il y a tout d’abord les prolongations indéfinies des états d’urgence.


En principe : un état d’urgence est un outil qui permet de faire face à une menace grave. Lorsque cet événement disparaît l’état d’urgence doit disparaître avec lui. Or, depuis 2015, il y a toute une série de loi de prorogation des états d’urgence


EX1 : l'état d'urgence sécuritaire : qui a fait l’objet de 6 loi de prorogation entre le 20 novembre 2015 et le 11 juillet 2017. Et notamment, la prorogation de mai 2016 se fait en prévision de l’euro de football et non pour un motif de risques d’attentats. Celle de juillet 2016 proroge de 6 mois à cause de l’attentat de Nice.


EX 2 : l'état d'urgence sanitaire :il a été initié en mars 2020 et semble avoir été terminé en juillet 2022. Là aussi, il y a eu une multiplication des lois de prorogations ( 13 au total ). Certains auteurs ont décrit cela comme une course sans fin entre l’épidémie et la loi.


Ce qu’il y a de nouveau, outre le fait du nombre des prorogations, c’est que certaines lois vont mettre en oeuvre des régimes d’états d’urgences transitoires. Pourquoi ? Ce sont en fait des EU innomés, même si le mot n’est pas prononcé. Un EU qui ne dit pas son nom. Elles vont générer une nouvelle catégorie juridique entre l’état de droit et les régimes d’EU. 


EX1 : la loi de 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, va créer un régime un peu nouveau : le déconfinement. Elle allège progressivement les mesures restrictives de libertés, avec quand même des restrictions qui vont demeurer comme la fermeture de certains lieux.


EX 2 : la loi de 9 juillet 2020  organisant la sortie du régime transitoire. Là encore, le pouvoir public se dote d’outils pour interdire certains rassemblements, fermeture d’établissement etc.. Seul le confinement ne peut plus être mis en place.


EX 3 : : Une autre loi encore, instaure un régime transitoire plus rigoureux comme les couvres feux, l’obligation de faire des tests de dépistage pour circuler, la présentation d’un passe sanitaire pour les rassemblements etc


EX 4 :  La loi du 5 aout 2021 met en place un régime transitoire aussi, avec de nouvelles mesures qui pourront être prise par les pouvoirs publics comme l’extension du périmètre du passe, l’obligation de vaccination pour les professionnels de santé, l’isolement qui va être rendu systématique .


EX 5 : la loi du 30 juillet 2022, qui mettent fin au régime d’exception créée pour gérer la crise sanitaire ----> on est plus dans un régime d'exception ou transitoire mais cette loi permet de donner au premier ministre des pouvoirs en matières sanitaires en dehors de tout régime d’exception ou d’état d’urgence sanitaire. 




L’autre brouillage temporel est dû au fait qu’on va progressivement codifier, incorporer l’état d’urgence dans le droit commun


C’est ce qui s’est passé avec l’état d’urgence sécuritaire et avec l’état d’urgence sanitaire.


EX 1 : Pendant l’état d’urgence sécuritaire on a une loi du juillet 2016, prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste. Cette loi comporte deux parties: le Titre I porte sur l’état d’urgence et le Titre II sur le renforcement de la lutte antiterroriste. cette loi va modifier plusieurs codes : CP, CPC, Code de la sécurité intérieure et à chaque fois on crée de nouveaux outils qu’on incorpore dans ces codes de droit commun.


=> On codifie des mesures qui concernent l’état d’urgence dans des codes de droit commun


EX 2 : État d’urgence sanitaire : la loi du 23 mars 2020 a 2 objets : on modifie le CSP et on instaure l’état d’urgence. Cette loi elle était prévue de manière temporaire, mais on a modifié de manière pérenne le CSP. Et on a modifié la partie du CSP qui était relative aux menaces sanitaires graves, en permettant au ministre de la santé de prendre le relais une fois l’état d’urgence sanitaire terminé.

Le débat autour de la constitutionnalisation de l’état d’urgence

Une partie de la doctrine constitutionnaliste a posé la question de savoir s’il ne faudrait pas inscrire dans la Constitution l’état d’urgence au côté d’autres états d’exception ?


deux comité de réflexion en 1993 et 2007 ont proposé d'intégrer l'EU dans le texte de la constitution . ce sujet est redevenu pertinent après les attentats de novembre 2015 lorsque le président Hollande a suggéré une évolution constitutionnelle pour mieux lutter contre le terroriste ----> un projet de loi constitutionnelle en 2015 visant à protéger la nation a suscité des controverses notamment un raison de certaines dispositions jugées inacceptables par l'opinion publique et le parlement .


le débat reste vif, avec des arguments divergents :


  • certaines estiment que la JP du CC a déjà constitutionnalisé l'état d'urgence.
  • d'autres plaident pour une constitutionnalisation de l'EU pour encadrer les mesures gouvernementales .
  • Pour certains il y a un danger pour l’EDD à constitutionnaliser l’état d’urgence. Danger de confondre les dispositifs d’exception et la norme.

A: L’inadaptation de l’état d’urgence aux « crises » actuelles

plusieurs causes permettant de croire que ces états d'urgence sont inadaptés aux crises actuelles :


  • Le mot crise renvoie à quelque chose de temporaire normalement. Or, on peut se poser la question de savoir si le terrorisme et l’épidémie ne sont pas des menaces permanentes. Y a-t-il vraiment une adaptation de l’état d’urgence face à des événements qui ne sont pas temporaires ?


  • De plus, l’état d’urgence tel que nous le connaissons semble inadapté car le dispositif de l’état d’urgence doit être mis en oeuvre quand il n’y a pas d’autres moyens de faire face au péril imminent. Or, certains juristes ont souligné le fait que les dispositifs normaux auraient suffit à prendre les mesures qui étaient rendues nécessaires par les deux états d’urgence.


EX1 : sous l'état d'urgence sécuritaire : avant 2015, le Gouvernement disposait de tout un arsenal législatif lui permettant de faire face à la menace terroriste.

  •  en 1986, déjà dans cette loi, l’Etat français commence à se doter de tout un arsenal juridique (création du parquet national anti terroriste ; l’extension des procédures de GAV pour infraction terroriste).
  • loi 15 novembre 2001, dans laquelle on étend les pouvoirs de police en matière de contrôles d’identité, de fouilles, de perquisitions .
  • loi de 2003, fichier automatisé .
  • loi mars 2011, mesure de surveillance informatique, à l’étranger.


Donc : Le dispositif de l’état d’urgence est-il adapté alors qu’on dispose d’un arsenal juridique conséquent ? Est-il adapté face à ces menaces particulières qui sont des menaces qui doivent inscrire l’action des pouvoirs publics sur le long terme ? 

B:  La dilution matérielle de l’état d’urgence dans le droit commun

Chaque état d’exception qui a été appliqué en France, et en particulier les états d’urgence, va laisser des traces dans le système juridique de l’EDD. 


L’état d’urgence va prendre fin, mais on va retrouver dans le système du droit commun des outils qui en principe relèvent de l’exception ----->  la doctrine a relevé plusieurs impacts des mécanismes de l’exception dans le droit commun : 


  •  L’effet de halo de l’état d’urgence : il y a une tendance à une sorte d’absorption, de débordement de l’état d’urgence vers d’autres politiques publiques: Au fur à mesure de l’application de ces états d’urgence il y a une sorte de débordement de ces états d’exception pour affronter d’autres menaces que ceux initialement prévus.


Ex : sous l'état d'urgence sécuritaire :   beaucoup des mesures concernées non pas des personnes qui avaient fait l’objet de mesure d’urgence, ou qui étaient soupçonnées d’infractions terroristes, mais des personnes ou des groupes qui faisaient l’objet d’autres actions policières et à qui on reprochait une forme de radicalité politique.


  • L’effet cliquet de l’état d’urgence : l’état d’urgence va laisser des traces, il va y avoir une forme de sédimentation juridique . ». A chaque fin d’état d’urgence, on ne reviendrait pas à la normale, et chaque état d’urgence laisserait dans le droit commun des traces permanentes .


EX1 :  un nouveau rapport de forces entre les pouvoirs publics au bénéfice du gouvernement sur l’action du Parlement, où le rôle apparaît en second.


EX 2 : L’état d’urgence va contribuer à mettre en place de nouvelles techniques de gouvernement. Ce que la doctrine appelle la mise en place d’une société de la surveillance généralisée. 


  • L’effet de banalisation de l’état d’urgence dans le droit commun. Certaines AAI, comme le défenseur des droits ou la commission nationale des DH ont pu parler d’état d’urgence permanent.


EX : L’état d’urgence sécuritaire qui a pris fin en 2017 : la veille de son extinction une loi est promulguée, loi du 1er novembre 2017 sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT) .Cette loi va reprendre certains outils de l’état d’urgence sécuritaire : les contrôles d’identité sans motif particulier ; la possibilité d’instaurer des couvre-feux ; la possibilité de recourir à des perquisitions ; à des assignations à résidence etc .


-----> apparition l'EU formel et matérielle .


Les transformations de l’Etat de droit suite à l’avènement de l’état d’urgence matériel 

Certains, comme Agamben, ont considéré que finalement ce n’était pas tant une transformation de l’EDD mais une révélation. .

Une transformation de paradigme de l’Etat de droit

A)- la consécration normative de la sécurité .


----> C’est le passage du droit à la sûreté au droit à la sécurité. Les textes fondamentaux font une différence entre les deux termes. 


  • La sûreté : le droit à la sûreté figure à l’art. 2 DDHC. C’est la protection de l’individu contre les peines privatives de liberté qui seraient arbitraires (  Ça fait appel au principe fondateur du droit pénal, le principe de la légalité des délits et des peines).Dans la DDHC la sûreté désigne bien cette garantie de la liberté individuelle, de cette protection contre l’emprisonnement, contre l’arrestation arbitraire .
  • La sécurité : chose moins précise. Pour remonter aux origines de la sécurité il faut remonter à Hobbes, la théorie du contrat social : l’homme vit dans un état de nature qui est dangereux, donc c’est un sentiment de besoin de sécurité physique, matériel, qui va pousser les hommes à s’associer dans un contrat social et à abdiquer de toutes leurs libertés, de tous leurs pouvoirs pour les remettre entre les mains d’un souverain (qu’on peut appeler aujourd’hui l’Etat). Ce besoin de sécurité va justifier, légitimer, le pouvoir absolu de ce souverain, de l’Etat.


----> la sécurité c’est la situation dans laquelle les personnes et les biens sont à l’abris des menaces qui pourraient peser sur eux. on peut la trouver dans l'article 12 de la DDHC .

A retenir :

  • droit à la sureté : associé à une conception libérale de l'Etat : vise à protéger les individus contre les abus de pouvoir de l'Etat en garantissant une certaine abstention de ce dernier dans la sphère privée .
  • droit à la sécurité : droit plus récent légitime l'action de l'Etat pour protéger les individus contre les menaces comme le terrorisme . ce droit a été formalisé par la loi de 1981 adopté dans un contexte d'insécurité économique et insécurité croissante ;

la loi de 1981 : a été significative : en soulignant que " la sécurité est la première des libertés" elle a affirmé que sans sécurité , d'autres libertés ne pouvaient pleinement exercées .


  • cette loi a introduit des mesures de répression contres les actes de violence , la torture , le trafic de stupéfiants et également a étendu les pouvoirs de police


cependant , a suscité des critiques surtout son caractère liberticide et a été abrogé par Mitterrand . .



la loi de 1995 : au fil des années d'autres lois ont continuer à renforcer la sécurité publique comme la loi de programmation relative à la sécurité de 1995 .


la loi de 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne :  La sécurité est un droit fondamental. Elle est une condition de l'exercice des libertés et de la réduction des inégalités, on a insisté sur la conception sociale de la sécurité. => La sécurité devient un concept englobant, mais aussi, on incorpore la dimension sociale de la sécurité (contre les aléas de la vie).




l'influence de l'état d'urgence sécuritaire : il faut retenir que à l'origine la notion de sécurité se concentrait sur des éléments tangibles tels que l'ordre public , la salubrité qui sont des préoccupation fondamentales pour le bon fonctionnement de l'Etat et de la société . cependant , cette vision a été élargi pour intégrer des préoccupations immatérielles comme la protection de la dignité humaine et le bien être psychologiques des individus .

----> l'état d'urgence sécuritaire a marqué un tournant car elle a mis en lumière la nécessité de répondre non seulement à des menaces physique mais aussi à un sentiment d'insécurité croissant parmi la population .


la réforme du code de la défense en 2009 : a également reflété cette évolution en déplaçant l'accent de la défense nationale vers une stratégie de sécurité nationale .



B)- La sécurité comme nouveau paradigme des libertés.



l'idée que la sécurité est une condition préalable à la liberté est devenue dominante surtout des des contexte de crise comme les états d'urgence . ainsi cela met en avant l'idée que la sécurité et la liberté ne sont pas nécessairement opposées :


  • d'une part : la sécurité est vitale pour que les citoyens puissent exercer leurs droits et libertés .
  • d'autre part : la préservation des libertés est essentielle pour assurer une sécurité durable .

cela suggère un besoin de trouver un équilibre entre les deux plutôt de les voir comme des concepts conflictuels .



Conséquences : on assite depuis 2015 à une multiplication des législations sécuritaires :


  • Loi 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui vise à encadrer certaines pratiques des renseignements. Notamment la pratique des boites noires.
  • Loi du 22 mars 2016, permet aux agents de la SNCF et RATP, de procéder à des fouilles, palpations.
  • Loi 3 juin 2016, loi qui vise à renforcer les moyens des services de renseignement, en autorisant les perquisitions de nuit.
  • Loi 30 octobre 2017, renforçant la sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT), elle prend le relais de l’état d’urgence sécuritaire qui a pris fin le jour de la promulgation de cette loi et cette loi va réaliser des glissements discursifs.( Elle reprend le dispositif des perquisitions administratives + -> Reprise aussi de la fermeture administrative des lieux de culte, qui peut être prononcée au seul fin de lutte contre le terrorisme) .
  •  Loi 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite loi séparatisme), elle fait suite à l’assassinat de Samuel Paty. Loi qui va viser à garantir les principes de la République : liberté, égalité, fraternité, et principe de laïcité( elle va incorporer dans le droit commun des outils de contrôles préventifs : -> Par exemple, quand une association est agréée par l’Etat, cet agrément est soumis à une nouvelle condition qui est la signature d’un contrat d’engagement républicain, par lequel les associations s’engagent à respecter les principes de la République + création de deux nouveaux délits : -> le délit de séparatisme : consiste à sanctionner une personne qui aurait proféré des menaces, ou intimidations, à l’encontre d’un agent public dans le but de se soustraire aux règles / infraction qui vise à lutter contre la haine sur les réseaux sociaux, délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusions d’informations relatives à la vie privée) .




C)- une transformation de l'action publique .


Cette notion de sécurité, elle vise non seulement à réprimer les atteintes à la sécurité, elle vise aussi, et de plus en plus, à les prévenir :


- Logique de répression quand l’infraction a été, ou est sur le point d’être commise. - Logique de prévention, l’infraction n’a pas encore été commise, mais l’action publique cherche à anticiper cette commission de l’infraction, ce qu’on appelle le maintien de l’ordre public.


Toute ce qui touche la sécurité, notamment à travers le cadre des lois antiterroristes, et jusqu’à une date assez récente, ces législations faisaient appel à la répression. C’est-à-dire on est dans un logique pénale . Puis transformation de cette action publique, depuis l’état d’urgence sécuritaire on recourt de moins en moins au droit pénal mais de plus en plus au droit administratif. On n’est plus dans une logique exclusivement de répression, mais dans une logique de précaution pour éviter qu’il y ait des atteintes à la sécurité publique. 


EX : loi du 30 octobre 2017, SILT, on ne va pas enrichir le code pénal, mais enrichir le code de la sécurité intérieure qui concerne beaucoup moins le droit pénal, mais surtout la logique administrative. 


On peut faire une distinction entre cette logique répressive et préventive :

  • L’action répressive c’est l’action de police judiciaire.
  • L’action préventive c’est l’action de police administrative.


Or, de plus en plus, il y a un brouillage de cette distinction entre PA et PJ, et l’état d’urgence illustre parfaitement ce brouillage :


EX 1 : Dans le cadre de l’état d’urgence sécuritaire, les perquisitions administratives qui peuvent être autorisées par le préfet, ça se fait dans une logique de police administrative. Mais, en même temps, le dispositif de la perquisition relève du droit pénal qui relève normalement de la police judiciaire, décidée par le procureur.


EX2 :  loi du 3 avril 1955, on a dit que cette loi prévoyait que tout manquement aux mesures administratives de l’état d’urgence pouvait être l’objet d’une sanction pénale. Donc on a pénalisé des manquements à des mesures administratives qui sont des mesures de préventions de maintien de l’ordre. 

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