I - La dilution temporelle de l’état d’urgence .
Depuis 2015 on assiste à une prolongation indéfinie de l’état d’urgence et à une incorporation des états d’urgence dans le droit commun.
❖ Il y a tout d’abord les prolongations indéfinies des états d’urgence : En principe, un état d’urgence est un outil qui permet de faire face à une menace grave. Lorsque cet événement disparaît l’état d’urgence doit disparaître avec lui. Or, depuis 2015, il y a toute une série de loi de prorogation des états d’urgence.
EX1 : L’état d’urgence sécuritaire qui a fait l’objet de 6 loi de prorogation entre le 20 novembre 2015 et le 11 juillet 2017. Et notamment, la prorogation de mai 2016 se fait en prévision de l’euro de football et non pour un motif de risques d’attentats. Celle de juillet 2016 proroge de 6 mois à cause de l’attentat de Nice.
EX2 : initié en mars 2020 et semble avoir été terminé en juillet 2022. Là aussi, il y a eu une multiplication des lois de prorogations avec l'instauration des régimes transitoires ( 13 au total ). Certains auteurs ont décrit cela comme une course sans fin entre l’épidémie et la loi.
Les états d’urgence transitoire : catégorie des états d’urgence ou état normal ?
La doctrine parle d’état d’urgence d’innomé, le défenseur des droits par d’un état d’urgence sanitaire qui ne dit pas son nom : ça relève à la fois de la norme et de l’exception :
- la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, va créer un régime un peu nouveau : le déconfinement. Elle allège progressivement les mesures restrictives de libertés, avec quand même des restrictions qui vont demeurer comme la fermeture de certains lieux.
- la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie du régime transitoire. Là encore, le pouvoir public se dote d’outils pour interdire certains rassemblements, fermeture d’établissement etc.. Seul le confinement ne peut plus être mis en place.
- Une autre loi encore, instaure un régime transitoire plus rigoureux comme les couvres feux, l’obligation de faire des tests de dépistage pour circuler, la présentation d’un pass sanitaire pour les rassemblements.
- la loi de 30 juillet 2022, qui mettent fin au régime d’exception créée pour gérer la crise sanitaire. On est plus dans un régime d’exception ou transitoire, mais cette loi permet de donner au premier ministre des pouvoirs en matières sanitaires en dehors de tout régime d’exception ou d’état d’urgence sanitaire.
❖ L’autre brouillage temporel est dû au fait qu’on va progressivement codifier, incorporer l’état d’urgence dans le droit commun.
1)- sous l'état d'urgence sécuritaire.
la loi du 21 juillet 2016, prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste. Cette loi comporte deux parties, le Titre I porte sur l’état d’urgence et le Titre II sur le renforcement de la lutte antiterroriste. Cet objet différent entraîne cette loi à modifier plusieurs codes : CP, CPC, Code de la sécurité intérieure et à chaque fois on crée de nouveaux outils qu’on incorpore dans ces codes de droit commun.
> On codifie des mesures qui concernent l’état d’urgence dans des codes de droit commun.
2)- sous l'état d'urgence sanitaire .
la loi du 23 mars 2020 a 2 objets : on modifie le CSP et on instaure l’état d’urgence. Cette loi elle était prévue de manière temporaire, mais on a modifié de manière pérenne le CSP. Et on a modifié la partie du CSP qui était relative aux menaces sanitaires graves, en permettant au ministre de la santé de prendre le relais une fois l’état d’urgence sanitaire terminé.
II - Le débat autour de la constitutionnalisation de l’état d’urgence .
Une partie de la doctrine constitutionnaliste a posé la question de savoir s’il ne faudrait pas inscrire dans la Constitution l’état d’urgence au côté d’autres états d’exception ?
ce débat soulevé par les comités de réflexion en 1993 et 2007 a été ravivé après les attentats de 2015 lorsque le président Hollande a proposé une évolution constitutionnelle pour renforcer les pouvoirs de lutte contre le terrorisme . ----> un projet de loi visant à constitutionnaliser l'EU et à protéger les libertés a été proposé mais il n'a pas été adopté .
le débat se poursuit avec des arguments divers :
- certains jugent la constitutionnalité inutile car déjà constitutionnalisé avec la JP du CC .
- d'autres considèrent que c'est utile mais avec des précisions nécessaires sur des mesures gouvernementales .
- Pour certains il y a un danger pour l’EDD à constitutionnaliser l’état d’urgence. Danger de confondre les dispositifs d’exception et la norme.
Cette dilution elle est liée à plusieurs choses :
A)- L’inadaptation de l’état d’urgence aux « crises » actuelles.
premier argument : Le mot crise renvoie à quelque chose de temporaire normalement. Or, on peut se poser la question de savoir si le terrorisme et l’épidémie ne sont pas des menaces permanentes. Y a-t-il vraiment une adaptation de l’état d’urgence face à des événements qui ne sont pas temporaires ?
L’état d’urgence doit être mis en œuvre pour la durée la plus courte possible et non pour s’inscrire dans la durée. Une fois que la circonstance est maîtrisée on revient à la normal. -----> ce n'est pas le cas pour la crise sanitaire et sécuritaire .
deuxième argument : l’état d’urgence tel que nous le connaissons semble inadapté car le dispositif de l’état d’urgence doit être mis en œuvre quand il n’y a pas d’autres moyens de faire face au péril imminent. Or, certains juristes ont souligné le fait que les dispositifs normaux auraient suffit à prendre les mesures qui étaient rendues nécessaires par les deux états d’urgence.
EX : avant 2015, le Gouvernement disposait de tout un arsenal législatif lui permettant de faire face à la menace terroriste :
- Ça commence en 1986, déjà dans cette loi, l’Etat français commence à se doter de tout un arsenal juridique (création du parquet national anti terroriste ; l’extension des procédures de GAV ) .
- loi 15 novembre 2001, dans laquelle on étend les pouvoirs de police en matière de contrôles d’identité, de fouilles, de perquisitions.
- loi 14 mars 2011, mesure de surveillance informatique, à l’étranger .
Donc : Le dispositif de l’état d’urgence est-il adapté alors qu’on dispose d’un arsenal juridique conséquent ?
B - La dilution matérielle de l’état d’urgence dans le droit commun .
Chaque état d’exception qui a été appliqué en France, et en particulier les états d’urgence, va laisser des traces dans le système juridique de l’EDD.
---> la doctrine relevé plusieurs impacts des mécanismes de l’exception dans le droit commun :
- L’effet de halo de l’état d’urgence : il y a une tendance à une sorte d’absorption, de débordement de l’état d’urgence vers d’autres politiques publiques. En principe, l’état d’urgence répond à un péril bien précis. Au fur à mesure de l’application de ces états d’urgence il y a une sorte de débordement de ces états d’exception pour affronter d’autres menaces que ceux initialement prévus.
EX : l’état d’urgence sécuritaire. Ils se sont aperçus que beaucoup d’affaires concernées non pas des personnes qui avaient fait l’objet de mesure d’urgence, ou qui étaient soupçonnées d’infractions terroristes, mais que pas mal de ces mesures concernaient des personnes ou des groupes qui faisaient l’objet d’autres actions policières et à qui on reprochait une forme de radicalité politique.
- L’effet cliquet de l’état d’urgence : l’état d’urgence va laisser des traces, il va y avoir une forme de sédimentation juridique qui va se mettre en place. A chaque fin d’état d’urgence, on ne reviendrait pas à la normale, et chaque état d’urgence laisserait dans le droit commun des traces permanentes. Ces traces ont peut les relever dans deux domaines :
- Dans un nouveau rapport de forces entre les pouvoirs publics au bénéfice du gouvernement sur l’action du Parlement, où le rôle apparaît en second.
- L’état d’urgence va contribuer à mettre en place de nouvelles techniques de gouvernement. Ce que la doctrine appelle la mise en place d’une société de la surveillance généralisée.
- L’effet de banalisation de l’état d’urgence dans le droit commun. Certaines AAI, comme le défenseur des droits ou la commission nationale des DH ont pu parler d’état d’urgence permanent.
EX : L’état d’urgence sécuritaire qui a pris fin en 2017 : la veille de son extinction une loi est promulguée, loi du 1er novembre 2017 sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT) ---> loi va pérenniser certains outils de l’état d’urgence sécuritaire : les contrôles d’identité sans motif particulier ; la possibilité d’instaurer des couvre-feux ; la possibilité de recourir à des perquisitions ; à des assignations à résidence etc