- Citation de Jean Houssaye: Le triangle pédagogique est « un modèle de compréhension théorique qui est issu d’une pratique pédagogique et que l’on peut donc considérer comme savoir pédagogique»

Principe du triangle pédagogique:
- Le savoir (S) désigne les contenus, les disciplines, les programmes, les acquisitions, etc.
- Le professeur (P) désigne aussi bien le professeur d’école, de collège, de lycée, le formateur, l’éducateur, le tuteur…
- Les élèves (E) sont parfois les « apprenants », les « formés », les étudiants, les stagiaires, etc.
Les 3 processus du triangle pédagogique:
- Le processus « enseigner » privilégie l’axe professeur-savoirs : problématique de la « transmission » des savoirs : comment enseignent les professeurs ?
- (Les élèves ont la place du « mort » : exemple du cours magistral)
- Le processus « apprendre » privilégie l’axe élèves-savoirs : problématique de l’apprentissage, de l’acquisition, de la construction des savoirs par les élèves. Comment apprennent les élèves ?
- (Le professeur a la place du « mort » qui laisse les élèves construire leurs savoirs… Mais il n’est pas absent car il écoute et observe pour éventuellement intervenir ponctuellement)
- Le processus « former » privilégie l’axe professeurs-élèves : problématique de la relation pédagogique, de l’ambiance de classe, du climat scolaire : Comment interagissent les enseignants et les élèves ?
- (Les savoirs ont la place du mort, en tous cas les savoirs disciplinaires, mais pas les compétences sociales ou transversales, aujourd’hui présentes dans le socle commun).
Des types de pédagogies pour chaque processus:
- Sur l’axe « enseigner », Jean Houssaye place la « pédagogie traditionnelle magistrale » qui fonctionne par cours et présentation impositive et structurée du savoir. Il y place une variante actuelle qu’il appelle le « cours vivant » ou cours dialogué qui repose sur un bon climat de classe (proximité du processus « former »)
- Sur l’axe « apprendre » se trouvent les principes de l’Éducation nouvelle (Freinet), le travail autonome, et certaines formes de pédagogie différenciée (autonomie laissée aux élèves et relation non figée professeur-élèves). On trouve également l’enseignement assisté par ordinateur (L’élève utilise seul un programme de formation adapté à ses besoins).
- Sur l’axe « former » se trouvent certaines pédagogies libertaires (Neill, école de Summerhill ; les écoles libertaires de Hambourg dans les années 20), certains pédagogues socialistes (le soviétique Makarenko), certains pédagogues de l’éducation nouvelle, que ce soit en internat (Korczak déporté avec les enfants juifs du ghetto de Varsovie), ou que ce soient les pédagogies institutionnelles (Oury, Fonvieille) et non-directive (Rogers) qui donnent une place centrale au conseil dans lequel la parole de l’élève est réellement prise en compte.
Qu'est-ce que la pédagogie?
Phrase de Jean Houssaye qui vient de Durkheim : « Le pédagogue est un praticien-théoricien de l’action éducative ».
« Il cherche à conjoindre la théorie et la pratique à partir de sa propre action, à obtenir une conjonction parfaite de l’une et de l’autre, tâche à la fois indispensable et impossible en totalité »
Il y a en effet un écart entre la théorie et la pratique :
-> La pratique échappe toujours un tant soit peu à la théorie (elle ne peut se réduire aux seules compréhensions théoriques que j’en ai).
-> La théorie dépasse aussi toujours quelque peu la pratique (il serait encore possible de produire d’autres discours théoriques sur telle ou telle action).
Qu'est-ce qu'un pédagogue?
L’enseignant se présente comme le praticien de la pédagogie des savoirs enseignés. Il utilise de la théorie mais n’en « fabrique » pas.
Le chercheur en sciences de l’éducation tente d’élargir les théories et les savoirs relatifs à l’éducation, mais il parle généralement de la pratique des autres. Il théorise sur les pratiques mais il n’en « fabrique » pas.
Le formateur est un mixe des deux selon Houssaye : il utilise de la théorie mais n’en fabrique pas et il utilise de la pratique mais n’en fabrique pas non plus
Selon lui, il existe de grandes constructions pédagogiques qui continuent de « tenir », c’est- à-dire de servir de références : Pestalozzi, Montessori, Decroly, Freinet et bien d’autres.
La figure du pédagogue: artisan, bricoleur, praticien réflexif?
Pour Jean Houssaye, « le pédagogue est un praticien-théoricien de l’action éducative »
Pour Philippe Meirieu, le pédagogue aujourd’hui :
→ Ce n’est pas un « théoricien de l’éducation »
→ C’est un « acteur réflexif » qui cherche des outils de compréhension et d’action dans un même mouvement
Pour Loïc Chalmel (en complément de Jean Houssaye), le pédagogue répond à 5 exigences : l’enracinement, l’action, l’interrogation, la rupture et l’humilité.
Les 5 exigences du pédagogue (Jean Houssaye, Loïc Chalmel):
1-L’enracinement : c’est un être historique, porteur de son époque et des questions de son époque. Il cherche des réponses nouvelles aux questions et aux difficultés propres à son époque. Il est enraciné à la fois dans son époque et dans son lieu de pratiques pédagogiques
2-L’action : il est toujours un praticien. Il est dans l’action. Il fait et se pose des questions sur ce qu’il fait.
3-L’interrogation : il ne suffit pas de faire. Les pédagogues sont des insatisfaits qui remettent en cause les idées reçues, cherchent toujours à mieux faire, à mieux être. L’insatisfaction est le moteur de la pédagogie. Il cherche à comprendre ce qui se passe et s’ouvre aux autres pour progresser.
4-La double rupture : le pédagogue est en rupture à la fois avec la pratique et avec la théorie. Le pédagogue a mauvaise réputation auprès des praticiens et auprès des théoriciens (assis entre deux chaises).
5-L’humilité : voire la médiocrité. La théorie et la pratique ne pourront jamais se réduire l’une à l’autre. L’échec est une nécessité en pédagogie, c’est même une valeur. On continue ainsi à penser, à se remettre en cause, à avancer.
Un pas de côté : comprendre la notion de « praticien réflexif » de Schön :
En 1983, aux Etats-Unis, Donald Schön publiait "Le praticien réflexif, à la recherche du savoir caché dans l'agir professionnel" qui a été traduit en français en 1994 au Québec.
Schön défendait surtout une première thèse : aucune action professionnelle complexe n’est, même dans l’urgence, une action impensée, produit d’un pur " automatisme ". L’action découle d’un jugement professionnel, d’une décision qui résultent d’une réflexion dans l’action.
Avec l’apparition de la pratique réflexive dans les discours sur la professionnalisation est né un espoir d’amélioration de l’efficience de la formation des futurs enseignants.
Un autre grand cherheur en science de l'éducation, spécialiste de pédagogie: Meirieu:
Professeur émérite en science de l'éducation à l'Université Lumière Lyon 2, Spécialiste et défenseur de la pédagogie en France. Thèse soutenue en 1983 sur les pédagogies de groupe en situation scolaire => un défenseur de la différenciation pédagogique. L'inspirateur de réformes pédagogiques (Les IUFM au début des années 1990, Les TPE « travaux personnels encadrés » au lycée). De 2010 à 2015, il a été vice-président de la région Rhône-Alpes, chargé de la formation tout au long de la vie. Engagé politiquement, il se définit lui-même comme militant et homme de gauche
Quelques ouvrages principaux de Meirieu:
-> Apprendre en groupe ?. 1, Itinéraire des pédagogies de groupe, Lyon : Chronique sociale, 1986.
-> Apprendre... oui mais comment, ESF éditeur, collection Pédagogies , 1987.
-> L’École mode d’emploi : des méthodes actives à la pédagogie différenciée, ESF éditeur, 1989.
Thèse défendues par Philippe Meirieu:
Selon lui, le rôle de l'école est à la fois d'instruire et d'éduquer, la finalité étant l'émancipation de l'élève et le développement de son autonomie.De ce fait, comme l'avait démontré aussi Olivier Reboul, tout enseignant est confronté à un certain nombre de contradictions (philosophie de l’éducation):
Contradiction 1 : éducation et liberté
L'enseignant (et plus globalement tout éducateur) doit s'efforcer de transmettre des normes sociales pour favoriser l'insertion de l'enfant dans la société.Mais il doit aussi lui apprendre à penser par lui-même et à examiner de manière critique les règles sociales existantes.L'éducation à la liberté revêt donc un caractère paradoxal.
Contradiction 2 : l’intérêt de l’enfant ?
Il existe de même une tension entre la nécessité de faire acquérir à l'élève des savoirs qui sont nécessaires à sa formation et la prise en compte de ses centres d'intérêt.En effet, tout apprentissage véritable nécessite la mobilisation de l'intérêt de l'élève.Seuls les savoirs scolaires faisant sens pour l'élève pourront être assimilés durablement.Il est donc tentant de promouvoir à l'école des thèmes ou des activités qui sont susceptibles de déclencher l'intérêt immédiat de l'élève.
Cependant, en privilégiant les centres d'intérêt des élèves, l'enseignant risque de ne pas ouvrir à de nouvelles connaissances et à de nouvelles pratiques culturelles.
« L'intérêt de l'élève est-ce ce qui l'intéresse ou plutôt ce qui est dans son intérêt ?
Car de toute évidence, ce qui l'intéresse n'est pas toujours dans son intérêt et ce qui est dans son intérêt ne l'intéresse pas vraiment » (Meirieu, Faire l'école, faire la classe, 2004).
Pour dépasser ces contradictions, Meirieu met en avant le fondement éthique de l'éducation, à partie de deux postulats qui sous-tendent l'acte éducatif :
Le postulat d'éducabilité = tout le monde est éducable, tout le monde peut apprendre, progresser
Le postulat de liberté = l'éducation ne peut être assimilée au dressage. Ses résultats sont donc incertains car en dernière instance, l'apprentissage est du ressort de l'élève
« L'enseignant doit donc donner au sujet la possibilité d'exprimer ses propres projets individuels et collectifs » (site de Meirieu, L’action pédagogique comme ruse)
Les postulats d'éducabilité et de liberté sont tous les deux, à la fois nécessaires et contradictoires, mais aucun des deux ne doit être abandonné :
« Jeune instituteur, je vous prêche un art difficile, c'est de tout faire en ne faisant rien » (Rousseau, L’Émile ou de l’éducation)
Meirieu et la pédagogie différenciée:
Meirieu met avant tout l'accent sur le fait que chaque élève est différent et que les classes sont inévitablement hétérogènes. Il propose d'utiliser la pédagogie différenciée et plus particulièrement les « groupes de besoin » (différents des « groupes de niveaux »)
Après réflexion, il défend l'étude de la littérature classique dans son essai Des enfants et des hommes paru en 1999
Il avoue s'être trompé quand, 15 ans plus tôt, il estimait que : « les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d'emploi d'appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. […] Je me suis trompé. Pour deux raisons : d'abord, parce que les élèves avaient l'impression que c'était les mépriser ; ensuite, parce que je les privais d'une culture essentielle. C'est vrai que, à l'époque, dans la mouvance de Bourdieu, dans celle du marxisme, j'ai vraiment cru à certaines expériences pédagogiques » (Meirieu, dans Le Figaro, 1999).
Critiques reçues par Meirieu:
Des enseignants contestent ses théories éducatives fondées sur l'« élève apprenant » (« l’élève au centre » dans la Loi « Jospin » de 1989) plutôt que sur des savoirs fondamentaux
Philippe Meirieu a été très souvent pris à partie par les « républicains » ou les « disciplinaristes » qui l'accusent d'avoir contribué à la baisse du niveau des élèves ainsi qu'à l'effondrement d l'autorité des enseignants par son « idéologie pédagogiste, égalitariste et démagogique ».
ATTENTION ne pas confonde pédagogie et pédagonisme:
Le terme « pédagogisme » est une critique très négative de certaines pédagogies qui seraient la cause de la baisse du niveau des élèves…
Pour les « républicains », dans le « pédagogisme » on « apprend à apprendre », mais on n’apprend rien.
Souvent les analyses de ces pédagogies sont partielles et/ou caricaturales :
Le pédagogisme ou l’invention du discours de l’autre (Pierre Kahn, Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, 2006/4 (Vol. 39)
Une pédagogie de l'erreur:
« Les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas que les élèves ne comprennent pas » Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, 1938)
Comment faire de « l’erreur, un outil pour enseigner » ? (Jean-Pierre Astolfi, 1997)
Les 3 modèles résumés:

Un changement de regard sur l'erreur:
Les erreurs intéressent le pédagogue... Pour comprendre ce que l’élève ne comprend pas !
Ainsi, l’erreur est considérée comme une étape de l’apprentissage, nécessaire et source d’enseignement pour tous
« Lorsque les professeurs plaisantent à propos des « perles », ils oublient que ces ratés du système en enferment la vérité » (Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron dans La reproduction – 1970)
« L'expérience, c'est le nom que chacun donne à ses erreurs » (Oscar Wilde, 1892)
« L'essence même de la réflexion c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris » (Bachelard, 1934)
« Accompagner un élève, c’est sentir son niveau de confiance pour lui en redonner, par exemple en faisant de ses erreurs, non pas des fautes, mais de simples « faux pas » à travailler » (Giordan, 1976)
Apprendre -> prendre le risque de se tromper:
L’erreur est un indicateur du processus didactique de l’élève, des tâches intellectuelles qu’il réalise et des obstacles qu’il rencontre
Certaines réponses erronées, y compris le silence, témoignent de réels efforts intellectuels de l’élève
=> une question d’évaluation formative / formatrice
=> une question d’ajustement aux besoins d’apprentissage des élèves.