A retenir :
1) Des courtisans serviles et hypocrites (vers 1 à 8)
- Les vers 1 à 8 brossent un premier portrait satirique des courtisans qui met en relief leur hypocrisie et leur esprit de servitude. Cette première critique est formulée à travers l'image péjorative et comique des vieux singes de cour, mise en place dès le vers 2.
a) Une entame incisive
- Le texte s'ouvre sur une apostrophe lyrique à valeur d'interjection (Seigneur), suivie d'un verbe de jugement négatif (je ne saurai regarder d'un bon œil) et d'un rejet poétique (Ces vieux singes de cour v. 2) qui donnent d'emblée la tonalité satirique du poème. Cette image péjorative, fondée sur la comparaison de l'homme et de l'animal, est renforcée par l'emploi dépréciatif du déterminant ces et de l'adjectif vieux, qui montrent tout le mépris éprouvé par Du Bellay à l'égard des courtisans.
- Les marques de jugement sont également très présentes à travers les formulations négatives montrant l'absence de personnalité chez les courtisans qui ne savent rien faire v. 2 / Sinon leur en marcher les princes contrefaire v. 3. La présence à la rime du verbe contrefaire, qui appartient au lexique de l'imitation, prolonge de façon comique l'image des vieux singes de cour et souligne un premier défaut. Les courtisans ne font en effet qu'imiter maladroitement les manières du prince, que ce soit dans sa démarche (Sinon en leur marcher) ou dans sa façon de s'habiller : Et se vêtir, comme eux, d'un pompeux appareil v. 4. La présence ironique en fin de vers de l'adjectif pompeux, qui renvoie aux costumes éclatants portés par les courtisans lors des cérémonies officielles, souligne au passage un deuxième défaut le goût du paraître et de l'ostentation qui règne à la cour.
b) Un comportement hypocrite
- La critique se poursuit dans le second quatrain, avec un passage du portrait physique au portrait moral. L'hypocrisie des courtisans est tout d'abord mise en relief par le rythme binaire des vers 5 et 6 : Si leur maître se moque, il feront le pareil, / S'il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire. L'ironie de ces vers réside dans l'emploi du mot maître, à la place du mot roi, et dans le balancement syntaxique de la phrase qui met en relief le comportement mécanique et servile des courtisans: ces derniers ne font que répéter à l'identique les propos de leur maitre.
- Ce portrait critique s'achève de façon ironique sur une figure de chiasme et une nouvelle image formulée dans les vers 7 et 8: Plutôt auront-ils vu, afin de lui complaire / La lune en plein midi, à minuit le soleil. La succession comique des mots lune, midi, minuit et soleil, dans une figure de chiasme syntaxique, souligne le fait que les courtisans sont prêts à tout pour plaire au prince, y compris à tenir des propos extravagants et incohérents en sa présence. Cet esprit de flatterie, proche du ridicule, est souligné par les mots placés à la rime tout au long des quatrains : rien faire / contrefaire / contraire / complaire. Le reproche d'hypocrisie formulé par Joachim Du Bellay est donc fortement appuyé par des effets de sonorité poétique.
2) Le triomphe de la bêtise et de la méchanceté (vers 9 à 14)
- Le portrait charge des courtisant se poursuit dans les vers 9 à 14, qui ajoute des traits de jalousie, de bêtise et de méchanceté à leur caractère. Comme il est de tradition dans le sonnet, Du Bellay reprend la thématique des quatrains en l’élargissant et lui donnant un sens nouveau dans les tercets.
- Le reproche de méchanceté et de jalousie.
- Le premier tercet est une reprise en miroir du 2nd quatrain avec la mise en place d’un rythme binaire et une suite de proposition subordonnés circonstanciels à valeur d’hypothèse (V9 à 11). Du Bellay dénonce dans ces vers l’attitude versatile de ces courtisans qui changent radicalement de comportement en fonction de l’accueil fait par le roi à d’autres courtisans. Le reproche d’hypocrise est donc renouvelé ici.
- Cette attitude hypocrite est soulignée tour à tour par des verbes de soumission et de flatterie (“Ils le vont caresser” V10) ou au contraire par des verbes de rejet (“Ils le montrent au doigt” V11) qui dénoncent leur côté faussement accueillant et leur cruauté. On observe par ailleurs un effet de mise en scène théâtrale à travers l’expression “Ils le montrent au doigt” V11 qui laisse deviner au lecteur la gestuel des courtisans.
- Du Bellay utilise également des effets poétiques pour dénoncer la jalousie intérieure qui dévore les courtisans comme le montrent les allitérations en [ k ] et en [ R ] attachés à l’expression crever de rage : “Ils le vont caresser, bien qu’ils crèvent de rage” V10 . Sous des dehors accueillants et bienveillant, les courtisans apparaissent donc comme des êtres envieux et jaloux qui envient la bonne fortune des autres courtisans.
- Un rire qui confine à la bêtise et à la sottise
- Le second tercet qui sert de conclusion au poème est une reprise et une amplification rhétorique de la strophe 1. Ce mouvement conclusif est indiqué par les connecteurs argumentatifs “mais” V12 suivit d’un nouveau verbe de jugement faisant écho au début du poème : “ce qui plus contre eux quelque fois me dépite”. Du Bellay crée un effet d’attente avec l’usage du vers “me dépite” qui rappelle la formule initiale “je ne saurais regarder d’un bon œil”.
- Cet effet d’attente est prolongé dans le vers 13 par l’utilisation d’une phrase de forme emphatique et l’usage du mot “hypocrite” résumant la critique d’ensemble du poème. L’expression “visage hypocrite” renvoie ici à la duplicité des courtisans qui dissimulent leur véritable visage sous des apparences agréables mais aussi au fait qui jouent un rôle devant le roi à la manière de comédien, comme le suggère l’étymologie du mot “hypocrite”, qui signifie en grec “acteur de théâtre”.
- Du Bellay parachète son portrait à travers la pointe finale du sonnet qui souligne le rire sans raison des courtisans : “ils se prennent à rire et ne savent pourquoi” V14. Le sonnet s’achève donc sur une pointe sarcastique qui reprend l’image des vieux singes de cours en leur prêtant un rire imbécile et idiot.
Conclusion :
Ainsi, Du Bellay utilise dans ce texte la forme élégante et concise du sonnet pour faire une satire impitoyable et féroce du courtisan, dont il dénonce les comportements serviles et hypocrites. L’ensemble du poème est construit autour de l’image suggestive et comique des vieux singes de cours qui permet au poète de mener à bien ça critique. [bilan de lecture] La critique de la cour des courtisans n’est cependant pas nouvelle en littérature. On la retrouve à l’âge classique dans les célèbres fables de La Fontaine qui se sert d’animaux pour instruire les hommes ou encore dans les portraits et maximes des caractères de La Bruyère qui utilise lui aussi la métaphore du singe ou du pantin pour évoquer les comportements de ces contemporains.