- étude de l’histoire du paysage classique nous a mené du monde antique, qui constitue comme une phase d’accumulation primitive du capital =avènement d’un temps d’investissement productif de plus en plus intense des valeurs du paysage classique dans les textes et dans les images, du seuil du XVIème à l’extrême fin du XVIIème avec Fénelon, et encore au-delà.
A- LE CONTEXTE DU NOUVEAU SUBLIME EUROPEEN
Introduction : La crise de la conscience européenne
A retenir :
idéal a été mis en crise à partir du milieu du XVIIIème siècle =changement de paradigme.
1) Du Longin de Boileau au sublime de Burke et de Shaftesbury
Paragraphe de Longin = le sublime comme registre et la correspondance des registres stylistiques au paysage:
- Longin (213-273 après J-C), expose les différents aspects du sublime dans un traité célèbre traduit par Boileau ( le fameux législateur du classicisme français)
- incline a préférer le sublime + développe en s’interrogeant sur les raisons qu’ont eu les plus grands poètes et tragédiens pour préférer les risques du sublime à la sécurité d’un discours tempéré et plaisant ⇒ Ce qui attire vers le sublime est le goût de la surprise.
L’enthousiasme de Shaftesbury :
- Félix Paknadel dans : Lettre concernant l'Enthousiasme de Shaftesbury = rien de grand ne peut s'accomplir sans une certaine dose d'enthousiasme, c'est-à-dire sans un sentiment qui dépasse la simple raison.
Burke, le sublime de la terreur et le courant gothique :
- Burke, dans A Philosophical Enquiry into the Origin of Our Ideas of the Sublime and Beautiful (1757) = principe que « tout ce qui est terrible est sublime » indique d’emblée quels paysages seront sublimes.
- Le roman gothique développera singulièrement ce type de sublime : monts solitaires, forêts profondes, souterrains, châteaux hantés, cahots de l’inquisition, et toujours des orages.
2) Nouveaux regards sur la Bible et Homère. Herder
Nouvelles lectures de la Bible et d’Homère : Milton, Bodmer, Lowth, Lavater ; les Dacier, Wolfe, Voss :
- intérêt graduel pour une poétique neuve issue du modèle biblique = exemples : Milton avec The Paradise Lost
- pas seulement de tirer un poème épique du récit biblique mais aussi d’imiter les principes d’écriture de la Bible
- Comprendre dans la Bible le point de départ d’une poétique nouvelle, affranchie des règles classiques, jouant aussi du mystère, de l’ineffable. Et comprendre aussi la Bible comme le recueil de l’esprit poétique d’un peuple
- Herder : attire l’attention sur le génie des peuples, la poésie comme expression identitaire d’une communauté surgissant toujours de la matrice primitive, loin des législations savantes.
- Homère restitué à l’étrangeté relative de sa langue, à la supposée barbarie primitive de son temps, loin avant l’âge classique grec.
L’apport de Vico :
- Vico promeut une théorie cyclique des civilisations qui fait que cet Homère primitif marque le premier âge poétique, celui où l’esprit enfant pense par image, avant le règne de la raison et que ce premier âge peut revenir
- parole a précédé l’écriture, que le premier langage a été imagé =universaux fantastiques (c’est-à-dire de l’imagination), c’est ce que nous appellerions des archétypes, les grandes images que partagent tous les hommes dans leur imagination poétique ; les universaux rationnels ce sont les concepts de la philosophie.
La nature sublime dans la Bible (Cantique des Cantiques, Ezechiel) et l’Iliade :
- nouvelle lecture de la Bible et d’Homère mène pratiquement à mobiliser les ressources d’un nouveau sublime dans ces textes
- aspects qui concernent le paysage dans les passages du Cantique des Cantiques = rythme heurté et très dynamique + unité du texte est créée par des répétitions, des variations, des mêmes attaques+ beauté des époux est dite à travers des images, des comparaisons tirées de la nature
- lˈIlliade : l’allure des images employées. Le feu embrasant la cime d’un mont approché de l’éclat de l’armée en marche : l’image est typique du sublime selon Longin + comparaison pastorale des chefs et des chevriers
3) Les Salons de Diderot face à Loutherbourg et Vernet
- Les Salons de 1763 et 1765 (c’est-à-dire les textes écrits par Diderot à l’occasion des salons royaux de peinture de ces années là) corroborent à travers le commentaire des toiles de Loutherbourg et Vernet l ’avènement d’une nouvelle sensibilité au sublime
Loutherbourg (1763 et 1765) :
- premier texte sur Loutherbourg montre le caractère dynamique de l’ekphrasis pratiquée par Diderot : il habite avec nous le tableau
- Le peintre relève de l’idéal du génie naturel
- La nature du tableau est traitée dans l’esprit rénové de la pastorale.
- deuxième texte :programme éthique et esthétique = la vie vraie et simple des champs, la confrontation directe de l’artiste avec la Nature. Le mouvement cosmique et le mouvement de l’homme = relation du dynamisme de l’homme au dynamisme de la nature.
Vernet (1763 et 1765) :
- premier texte sur Vernet, manifeste d’emblée un dynamisme encore plus grand :
- ineffable (il n’est presque pas possible d’en parler) est un des topoi du sublime
- peintre apparaît sous le jour du démiurge biblique= le « Fiat » (que cela soit) divin ; la parole performative = pouvoir divin = attribué à Vernet
- Diderot développe tout le pathétique de la poétique de la tempete
- deuxième texte sur Vernet retrouve le thème de la tempête et du naufrage :
- le peintre s’est en effet spécialisé dans les Marines dramatiques. L’ekphrasis toujours dynamique nous fait vivre dans le tableau ; et par synesthésie, correspondance poétique, entendre les bruits de la tempête et le craquement sinistre du navire.
- Le sublime de la terreur, tabou en politique est devenu une nouvelle esthétique.
4) Van Tieghem et Attilio Brilli : deux regards synthétiques sur ce nouveau sublime
Un nouveau paradigme esthétique s’instaure dans le courant du XVIIIème siècle.
P.Van Tieghem : Le Préromantisme, Etudes d’histoire littéraire européenne (1930) :
- l’enjeu : une nouvelle sensibilité au paysage ; la « vraie nature » (il parle comme Diderot) contre la convention.
- paysage sauvage et austère qui remplace l’ancien paysage aimable
- jusque alors, le paysage était essentiellement pensé à partir des sources classiques, qui de fait thématisaient le paysage des pays méditerranéens, la Grèce, l’Italie. Ce paysage austère, sauvage, battu de vent, devient un nouveau topos.
Attilio Brilli, les nouvelles catégories esthétiques du Voyage en Italie :
- valorise le rôle de la littérature de voyage et de la peinture topographique dans la diffusion européenne de ce courant.
- Il associe le sublime de la Nature à la révolution scientifique qui en finit avec l’anthropocentrisme implicite du cosmos de Gallilée
- montre bien du milieu du XVIIIème anglais à l’extrême fin du XVIIIème allemand une convergence très forte dans le mépris de l’artefact (le jardin princier, la géométrie contrainte du jardin à la française) et l’admiration du génie sauvage de la Nature.
- distingue un sublime qui reste fidèle à la vision classique, et qui est un débordement tranquille (bref qui prépare le filon néoclassique) et un sublime plus explosif, plus directement compréhensible comme signe avant-coureur du Romantisme.
- rôle de la géologie naissante dans la nouvelle sensibilité : une idée plus directe et grandiose des forces à l’œuvre dans la genèse du monde et dans sa destruction.
- nouveau le sublime alpin, qui est bien un sublime largement burkien, chez des auteurs des prémisses du Romantisme comme Saussure, Rousseau, Bertola.
A retenir :
Une sensibilité neuve au paysage est donc apparue, qui à partir d’une révolution de la pensée a orienté l’art et l’écriture vers de nouveaux objets (la haute montagne, la mer déchainée, les intempéries des saisons froides, la grandeur du spectacle cosmique et sa dimension menaçante, le devenir perpétuel du monde et de l’homme…)