Les plaisirs romanesques peuvent se révéler profondément dangereux, comme le montre le personnage d’Emma, héroïne éponyme de Madame Bovary, roman de Gustave Flaubert publié en 1857. Jeune femme insatisfaite, Emma s’ennuie dans une vie conjugale terne, mariée à un homme bon mais sans éclat. Rêvant d’un idéal amoureux façonné par ses lectures, elle pense trouver une échappatoire à son existence monotone en cédant aux avances de Rodolphe, amant qui semble tout droit sorti des romans sentimentaux de son adolescence. L’extrait étudié correspond au moment qui suit cette liaison : Emma s’isole et repense à ce qu’elle a vécu. Comment Flaubert, au lieu de nous montrer une femme adultère pleine de remords, met en évidence le ridicule des rêves romanesques ?
Introduction
Analyse
Paragraphe 1 :
- Forme de mépris : Emma considère Charles comme un obstacle.
- "Débarrasser" = perte de quelque chose d’inutile.
- "Dès que" = rapidité et brutalité avec laquelle elle l’abandonne.
- "Enfermée" = envie de solitude, revendication d’intimité.
Paragraphe 2 :
- Point de vue interne = permet de partager les émotions et les souvenirs d’Emma.
- "Étourdissement" = vertige, elle est complètement chamboulée.
- Souvenir très précis et vif.
- Énumération avec progression géographique = reconstitution du trajet.
- "Le fossé" = elle regarde le sol, signe de pudeur (femme prude).
- Souvenir très vivant et sensuel, riche en perceptions sensorielles : vue, toucher, ouïe.
- Transfert des sentiments amoureux sur le paysage = procédé symbolique.
- Le paysage "frémit" = les émotions d’Emma et de Rodolphe s’y projettent.
- "Les jonc sifflants" = symbole de fatigue, sensualité discrète.
- Aspect charnel et sensuel mis en avant.
Paragraphe 3 :
- "Étonna" = son ménage n’est plus celui auquel elle est habituée.
- Négation : "jamais elle n’avait eu les yeux si grands, si noirs, ni d’une telle profondeur" = elle se découvre pour la première fois avec un tel visage.
- "Transfigurée" = transformation, beauté supérieure.
- Verbes à connotation méliorative = valorisation.
- Gradation avec adverbes + adjectifs d’intensité + rythme ternaire = lyrisme proche de la poésie romantique.
- Ses yeux correspondent aux critères de beauté de l’époque = elle est magnifiée.
- "Yeux grands" = ouverture au monde, à l’amour, à la vie.
- "Noirs, profonds" = accès à quelque chose de plus intime, de plus fort.
- Transformation subtile mais totale de sa personne.
Paragraphe 4 :
- Répétition du souvenir = elle se le remémore sans cesse.
- Champ lexical du plaisir : "se délecter", "joie de l’amour", "fièvre du bonheur", "merveilleux".
- Antithèse entre ce qu’elle vit et ce qu’elle laisse derrière elle.
- Métaphore : "une immense cité bleuâtre l’entourait... l’existence ordinaire n’apparaissait qu’au loin, tout en bas, dans l’ombre" = opposition entre grandeur de l’amour et médiocrité de la vie ordinaire.
- "Cité bleuâtre" = suffixe péjoratif, illusion romanesque.
- Emma est "au sommet du sentiment" = elle se croit au-dessus des autres.
- Regard méprisant sur la vie ordinaire.
- Discordance entre le bonheur d’Emma et la réalité.
- "Un amant" = article indéfini : c’est le fait d’avoir un amant qui importe, pas la personne en elle-même.
- "Fièvre d’amour" = excès, passion dévorante.
- Gradation : "passion, extase, délire" = Emma dans l’excès, ridicule.
- "Tout" = elle rejette entièrement la vie ordinaire.
- Illusion : elle croit que tout va devenir parfait grâce à l’amour.
- "Bleuâtre" = teinte d’illusion et d’ironie chez Flaubert, mépris de la rêverie romantique.
Paragraphe 5 :
- "Rappela" = passé simple, souvenir déclenché.
- "Avait lu", "avait envie" = plus-que-parfait = référence à sa jeunesse.
- Elle devient comme les héroïnes qu’elle lisait.
- "Sœur" = elle s’identifie à la "famille" des femmes adultères.
- "Triomphe" = accomplissement excessif, réussite orgueilleuse.
- Métaphore : l’amour est comparé à "un torrent qu’on ne peut pas contenir".
- "Savourer" = plaisir pleinement assumé.
- "Sans remords… sans… sans" = rythme ternaire, parallélisme, gradation = Emma est toute entière à sa joie.
- "Sans" suivi des autres termes = elle ne lutte pas moralement, elle savoure.
- Ridicule : elle croit que tromper son mari la rend supérieure = vision poétique décalée.
- "Légion" = métaphore épique : groupe de femmes comme une armée héroïque, vision embellie.
- Dimension épique non méritée = Flaubert ironise sur la grandeur supposée.
- "N’avait-elle pas assez souffert ?" = souffrance morale, causée par l’ennui.
- Ennui = souffrance majeure des femmes du XIXe siècle, enfermées par leur rôle social.
- Malgré le ridicule, il y a quelque chose d’émouvant = elle cherche enfin à vivre.
- Le texte dénonce une société qui prive les femmes de bonheur personnel.
Conclusion
A retenir :
Emma ne regrette pas ce qu’elle a fait ; au contraire, elle vit ce moment comme une victoire, comme si l’amour romanesque devenait enfin réalité. Flaubert se moque de cette illusion en insistant sur l’exagération des émotions et sur le décalage entre ce qu’Emma ressent et la réalité. Au lieu d’être une héroïne tragique, elle apparaît parfois comme une femme ridicule, prisonnière de ses rêves.
Cette scène illustre parfaitement ce qu’on appelle le bovarisme : un mal-être né du décalage entre la réalité et les rêves construits par la lecture. Emma cherche à échapper à sa vie ordinaire, mais cette fuite dans l’illusion la mènera peu à peu à sa perte.