Le « législateur » désigne, dans le langage courant, l’organe chargé de l’exercice de la fonction législative, qui est la fonction de « faire » la loi ; il désigne parfois également le Parlement, d’ailleurs habilité, par l’article 24 de notre Constitution, à « voter » la loi.
Il serait pourtant erroné de croire d’une part que le Parlement n’exerce que la fonction de faire la loi (nous avons vu dans la précédente leçon qu’il contrôle également l’action du Gouvernement), et d’autre part qu’il dispose d’un monopole en la matière.
En France comme dans tous les régimes parlementaires, le législateur est en réalité un organe complexe, comprenant plusieurs institutions. Régime de collaboration des organes, le régime parlementaire est en effet marqué par une forte distribution de la fonction législative, entre – a minima – le Parlement et le Gouvernement. Sous la V
e République, le chef de l’État n’est pas juridiquement habilité à intervenir dans l’exercice de cette fonction (en dehors de sa prérogative, d’ailleurs rarement utilisée, de demande d’une nouvelle délibération (art. 10)). Il n’en reste pas moins que politiquement, le président de la République pèse sur l’exercice de cette fonction dans la mesure où, hors période de cohabitation, la majorité parlementaire et le Gouvernement exécutent son programme. Sans intervenir directement dans l’exercice de la fonction législative, le président de la République est ainsi l’inspirateur de la plupart des projets de loi adoptés (projets de loi qui sont d’ailleurs, avant leur dépôt au Parlement, délibérés en conseil des ministres, instance interministérielle hebdomadaire qui est présidée par le chef de l’État).
La loi est donc le fruit d’une coopération entre le Parlement et le Gouvernement qui, comme souvent dans les régimes parlementaires, donne l’avantage à l’exécutif. Cela s’explique par le fait que dans ce type de régime, la loi est l’instrument de la réalisation du programme des organes de l’exécutif, qu’il s’agisse du Gouvernement, dans les régimes parlementaires à l’anglaise (c’est-à-dire avec leadership du cabinet), ou du chef de l’État dans notre régime parlementaire « à captation présidentielle » (Armel Le Divellec).
A cette réalité institutionnelle qui découle de la nature du régime, il faut ajouter la forte rationalisation du parlementarisme en 1958. Ces deux éléments contribuent à ôter assez largement la maîtrise du processus normatif au Parlement. C’est en ayant cette idée à l’esprit qu’il faut comprendre la tentative de revalorisation de l’institution parlementaire par la révision constitutionnelle de 2008.
Avant d’évoquer précisément le processus d’élaboration de la loi (on se contentera d’exposer ici les règles de la procédure législative ordinaire), il convient de présenter le partage de la compétence normative (c’est-à-dire de la prérogative d’édicter des règles de droit) entre le Parlement et le Gouvernement qui fut, en 1958, l’un des moyens de rationaliser le parlementarisme.
Section 1 : Le partage des compétences normatives entre le Parlement et le Gouvernement : les articles 34 et 37 de la Constitution
La plupart des décisions politiques se traduisent, concrètement, par l’édiction d’actes juridiques. Dit autrement, pour produire des effets de droit, les décisions prises par nos gouvernants doivent être matérialisées dans des normes (loi constitutionnelle, engagement international, loi ordinaire, règlement, etc.)
Il existe plusieurs catégories d’actes juridiques. Ils peuvent être classés en fonction de leur « valeur » en termes de hiérarchie, c’est-à-dire de la place qu’ils occupent au sein de la hiérarchie des normes, qui peut être plus ou moins élevée. Ainsi, dans l’ordre juridique interne, les normes constitutionnelles ont la valeur la plus importante ; cela signifie que toutes les autres normes doivent, pour être valides, être conformes ou au moins compatibles avec ces normes constitutionnelles.
Les actes juridiques peuvent également être classés en fonction de leur portée : certains sont individuels ; d’autres ont une portée générale et impersonnelle. Tel est notamment le cas des deux supports, ou « véhicules normatifs », les plus couramment utilisés pour servir de contenant aux décisions prises par les organes constitués : la loi et le règlement.
Df.La loi est une norme générale et impersonnelle, adoptée par le Parlement.
A cette première tentative de définition générale il existe quelques exceptions. La loi – ordinaire – peut en effet également être adoptée par le peuple dans le cadre d’un référendum de l’article 11 de la Constitution. Il est également possible, pour le chef de l’État, en période d’utilisation de l’article 16 de la Constitution (pouvoirs de crise) d’édicter des actes de forme et de valeur législative.
Df.Le règlement est quant à lui une norme générale et impersonnelle, édictée par un organe exerçant la fonction exécutive au niveau national (président de la République, Premier ministre, ministres… (art. 13 et 21 de la Constitution)), ou par des autorités locales, déconcentrées (préfets) ou décentralisées (organes des collectivités territoriales) (article 72 de la Constitution).
Sur le plan hiérarchique, la loi a une valeur supérieure au règlement. Cela signifie que pour être valides (« légaux »), les règlements doivent respecter les lois. Cela s’explique par le fait que la loi est l’instrument privilégié d’expression de la volonté générale. Jusqu’en 1958, le Parlement – qui vote la loi – était pour cette raison conçu comme l’organe privilégié d’expression de cette même volonté. Depuis l’entrée en vigueur de la
, ces équations ont été partiellement remises en cause. D’une part parce que la loi et le Parlement sont désormais concurrencés dans l’expression de la volonté générale par une nouvelle catégorie de normes : les règlements autonomes. D’autre part parce que, en raison de l’instauration d’un contrôle de la constitutionnalité des lois, il est désormais acquis, comme l’écrivait le Conseil constitutionnel dans sa célèbre décision Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie (décision n° 85-197 DC du 23 août 1985), que « la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » (telle qu’interprétée par le juge).
Rq.Sur l’importance de l’interprétation en droit, voir l’introduction de la première partie du cours de droit constitutionnel.
§ 1. La création d’un « domaine » de la loi
Par rapport à celles qui l’ont précédée, la Constitution de 1958 innove dans de nombreux domaines. L’un d’entre eux concerne le champ de la compétence du législateur : la Constitution créé un domaine de la loi ; dit autrement, elle délimite le champ d’intervention de la loi, champ qui était, jusque-là, illimité. Très concrètement, cela signifie que la loi ne peut « règlementer » (au sens de fixer les règles) que pour les objets, ou les matières, qui sont limitativement énumérées par la Constitution, et principalement par son article 34.
Tx.Article 34 de la Constitution :
- « La loi fixe les règles concernant :les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;-la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ;
- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ;
- l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie.
- La loi fixe également les règles concernant :le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ;
- la création de catégories d'établissements publics ;
- les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat ;
- les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé.
La loi détermine les principes fondamentaux :
- de l'organisation générale de la Défense nationale ;
- de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ;
- de l'enseignement ;
- de la préservation de l'environnement ;
- du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;
- du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.
Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.
Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.
Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État.Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques.
Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique. »
Ex.Un exemple concret : les règles relatives à « l’état » des personnes, mentionnées à l’article 34 de la Constitution, relèvent du champ de la loi. « L’état d’une personne comprend principalement ses , , sa , sa , son , sa situation au regard de l'institution du mariage (célibataire, marié, divorcé). » (Serge Braudo, Dictionnaire du droit privé ). Pour ouvrir la possibilité aux couples de même sexe de se marier (le code civil dans sa rédaction antérieure à 2013 réservait le droit de contracter mariage à deux personnes de sexe différent), une loi était donc nécessaire. Elle fut adoptée en 2013 : il s’agit de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Il résulte de ces dispositions que la compétence normative du législateur est désormais limitée : le Parlement ne peut se saisir de n’importe quel objet ou sujet pour légiférer ; il doit respecter le champ de sa compétence (celui du « domaine de la loi »), qui est désormais amputé par rapport à ce qu’il était sous les Républiques antérieures.
Qu’en est-il des objets, ou des matières, qui ne relèvent pas du domaine de la loi ? Ceux-ci relèvent du domaine du règlement.
Tx.En effet, en application des dispositions de l’article 37 de la Constitution, « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ».
La rédaction des articles 34 et 37 implique que les organes exerçant le pouvoir réglementaire disposent d’une compétence de principe, alors que celle du Parlement est une compétence d’attribution, dans la mesure où la loi ne peut fixer les « règles » ou les « principes fondamentaux » que pour les objets et matières limitativement énumérés à l’article 34.
Rq.Il faudrait nuancer légèrement ce propos dans la mesure où le champ de la loi déborde en réalité celui défini par l’article 34, dans la mesure où d’autres dispositions constitutionnelles attribuent au législateur la compétence de légiférer sur tel ou tel objet. Ainsi de l’alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946, qui fait aujourd’hui partie du droit constitutionnel positif, aux termes duquel « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
La limitation du domaine de la loi et la création, parallèle, d’un domaine réservé au pouvoir réglementaire avait pour objet de limiter la « souveraineté parlementaire » en mettant un terme à la « suprématie inefficace du Parlement », en élargissant « le domaine d’intervention du Gouvernement » et « en incitant le Parlement à se cantonner » à un domaine limité (Jean-Louis Pezant, « Les dispositions instituant un système de délimitation des compétences législatives et réglementaires », in Didier Maus, Louis Favoreu et Jean-Luc Parodi (dir.), L’écriture de la Constitution de 1958, Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 1992, p. 520).
Le Parlement est ainsi concurrencé dans sa fonction d’édiction de normes générales et impersonnelles. A côté des lois, votées par lui et qui sont le fruit de sa collaboration avec le Gouvernement, il existe désormais des règlements autonomes (ils sont qualifiés ainsi parce qu’ils règlementent des matières qui se situent en dehors du domaine de la loi), qui relèvent de la compétence du président de la République et du Premier ministre.
Évidemment, les règlements et le pouvoir réglementaire n’apparaissent pas en 1958. Ils existaient déjà avant ; leur apparition remonte à la période révolutionnaire. Alors, quelle différence existe-t-il entre les règlements antérieurs à 1958 et ceux qui apparaissent après cette date ? La différence se situe dans le fait que les règlements antérieurs à 1958 (sauf l’exception des « décrets-lois ») avaient pour objet exclusif de permettre l’exécution de la loi. Ils étaient donc strictement subordonnés à cette dernière ; quant aux autorités chargées de les élaborer, elles étaient, de ce fait, également subordonnées au Parlement. Comme l’écrivait Raymond Carré de Malberg, la loi a « pour fonction spéciale […] d’édicter, d’une part, les décisions qui sont destinées à dominer le reste de l’activité étatique, et d’autre part, les décisions qui ont un caractère initial ou qui dérogent à l’ordre législatif en vigueur » ; « tandis que la loi est une disposition d’une essence supérieure, qui prend place parmi les règles statutaires ou parmi les manifestations de la volonté la plus haute de l’État, en ce sens qu’elle ne pourra dans l’avenir être modifiée que par une loi nouvelle, et qui par suite s’impose, non seulement aux gouvernés, mais aussi aux gouvernants autres que le législateur, l’acte administratif [comprendre le règlement] n’a que la valeur d’une règle ou décision subalterne » (Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, Dalloz, 2004, t. 1, p. 371 et p. 486). Du point de vue de la répartition de la compétence normative entre les différents organes constitués, cela signifiait que « les organes législatifs sont seuls compétents pour prendre toutes les décisions qui ne se ramènent pas à l’exécution de quelque loi en vigueur. Tel est précisément le sens de l’art. 1er de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Lorsque ce texte dit que « le pouvoir législatif s’exerce par deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat », cela signifie avant tout que les Chambres seules ont la puissance de prendre toute décision qui ne se rattache pas à une loi antérieure dont elle forme l’exécution ». Quant aux autorités exerçant le pouvoir règlementaire, elles ne disposaient pas « de puissance générale l[eur] permettant, dans un ordre déterminé de matières, d’agir ou de statuer de [leur] propre initiative par voie de règlements généraux ou de mesures particulières » (ibid., p. 327 et p. 477).
La nouveauté de la Constitution de 1958 réside donc dans la création, aux côtés des règlements d’exécution de la loi, qui bien entendu n’ont pas disparu, de ces règlements d’un genre nouveau, les règlements autonomes. La dualité de nature des règlements et du pouvoir réglementaire est expressément reconnue à l’article 21 de la Constitution, aux termes duquel le Premier ministre « assure l’exécution des lois » (en édictant des règlements d’exécution des lois) et « exerce le pouvoir réglementaire » (en édictant des règlements autonomes).
Ainsi, alors qu’avant 1958, la définition de la loi était strictement formelle (ou organique : elle était l’acte voté par le Parlement selon la procédure définie par la Constitution), depuis 1958, sa définition est formelle et matérielle : la loi est l’acte voté par le Parlement selon la procédure définie par la Constitution et portant sur l’une des matières énumérées à l’article 34 de la Constitution.
Rq.Il convient néanmoins de garder à l’esprit que l’innovation de 1958, si elle est symboliquement importante, n’a pas complètement bouleversé l’état antérieur du droit. Comme l’indiquait Jean Rivero en 1977, « la révolution [escomptée] […] n’a pas eu lieu ». Pour quelles raisons ? D’une part parce que, même si le Parlement n’a plus, désormais, qu’une compétence d’attribution, le domaine de la loi défini par la Constitution est très large ; d’autre part, parce que ce domaine comprend les matières les plus importantes. Enfin, parce que les empiétements du législateur dans le domaine réglementaire ne sont pas toujours sanctionnés, alors que le règlement, quant à lui, demeure un acte conditionné et contestable : s’il empiète sur le domaine législatif, il peut être - en cas de recours d’un administré devant le juge administratif - annulé pour incompétence.
Pour protéger la compétence normative de l’exécutif (c’est-à-dire des autorités exerçant le pouvoir réglementaire autonome) des éventuels empiètements du législateur, le constituant de 1958 a prévu plusieurs instruments. D’une part, l’irrecevabilité de l’article 41 de la Constitution ; d’autre part, la procédure de délégalisation de l’alinéa 2 de l’article 37. Enfin, un organe a été spécifiquement chargé de contrôler le respect, par le législateur, du domaine de la loi (et donc par extension du domaine du règlement) : le Conseil constitutionnel.
§ 2. La protection de la compétence normative des autorités exerçant le pouvoir réglementaire autonome
A - L’irrecevabilité de l’article 41 de la Constitution
Tx.Aux termes de l’article 41 de la Constitution :
« S'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de , le Gouvernement ou le président de l'assemblée saisie peut opposer l'irrecevabilité.
En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de l'Assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel, à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai de huit jours. »
En droit, l’irrecevabilité désigne un « vice affectant une demande et qui en interdit la discussion au fond » (Armel Le Divellec, Michel de Villiers, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey).
L’article 41 de la Constitution permet au Gouvernement de s’opposer à une proposition de loi ou à un amendement (parlementaire ou gouvernemental) dès lors que ceux-ci excèdent le domaine de la loi, c’est-à-dire ne portent pas sur l’un des objets, ou matières, relevant de ce domaine. La pratique institutionnelle révèle que l’article 41 n’est que fort peu utilisé, et cela principalement parce que lorsqu’il arrive que le Parlement sorte de son champ de compétence, le Gouvernement consent, la plupart du temps, à l’empiètement sur son domaine en principe réservé. Dit autrement, le Gouvernement n’est pas contraint d’opposer l’irrecevabilité à la proposition ou à l’amendement litigieux (« il peut… », selon les termes de l’article 41). Assez logiquement, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision Blocage des prix et revenus (n° 82-143 DC du 30 juillet 1982), que si le Gouvernement ne s’était pas opposé à l’empiètement, par la loi, sur le domaine réglementaire, ça n’était pas à lui de censurer (comme contraires à la Constitution) les dispositions de nature réglementaire insérées dans une loi. A quel titre le Conseil constitutionnel viendrait-il protéger le domaine réglementaire contre le Gouvernement lui-même ?
En savoir plus : Décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982 (extrait)
Pour une fois, l’interprétation de la Constitution délivrée par le Conseil constitutionnel était favorable au Parlement.
Commentant cette décision, le professeur Jean-Bernard Auby notait : « La décision […] était […] fondée sur d'excellents motifs pratiques. Du point de vue des équilibres institutionnels, comme du point de vue de l'efficacité de la production normative, elle était même impeccable. Si le Gouvernement veut éviter l'intrusion du Parlement dans son domaine, il dispose de l'irrecevabilité de l'article 41. S'il veut laisser faire, ou s'il a laissé passer par mégarde des dispositions de nature réglementaire, il peut rattraper les choses à tout moment par la procédure de délégalisation, qui est une procédure simple, et rapide. Le Gouvernement peut l'employer à tout moment, discrétionnairement, même si sa décision de ne pas en user est, sur le principe, susceptible de recours, et, conformément aux dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958, le Conseil se prononce dans un délai d'un mois, de huit jours même quand le Gouvernement déclare l'urgence : on peut difficilement faire plus commode ! Le Gouvernement peut donc à tout instant, et facilement, récupérer son pouvoir : les équilibres institutionnels sont saufs. Le pouvoir réglementaire peut à tout instant, et facilement, modifier ce que le législateur a adopté dans son domaine : l'efficacité de la production normative y trouve son compte. » (« L’avenir de la jurisprudence Blocage des prix et des revenus », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2006, n° 19).
Rq.Quelques années plus tard, toutefois, dans la lignée de sa jurisprudence relative à la qualité de la loi, le Conseil constitutionnel, par sa du 21 avril 2005, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, s’est attribué la prérogative de constater que telle loi qui lui était déférée sur le fondement de l’article 61 de la Constitution comportait des dispositions de nature réglementaire. L’idée était alors, grâce à ce qui fut désigné comme un « déclassement préventif », de permettre au Gouvernement, s’il le souhaitait, de procéder au déclassement des dispositions en cause sans avoir à utiliser la procédure de délégalisation de l’article 37 alinéa 2. Cette jurisprudence est aujourd'hui abandonnée.
B - La procédure de délégalisation de l’alinéa 2 de l’article 37 de la Constitution
Tx.Aux termes de l’article 37 de la Constitution :
« Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire.
Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d'État. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent. »
Cette procédure de délégalisation (on dit parfois « déclassement ») est un autre instrument de protection de la compétence normative du pouvoir réglementaire. La délégalisation peut se faire de deux manières, selon que la disposition à déclasser est antérieure ou postérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958.
Les dispositions législatives (de « forme législative ») antérieures à cette entrée en vigueur peuvent être modifiées par décret après avis du Conseil d’État ; les dispositions postérieures peuvent être modifiées par décret si le Conseil constitutionnel en a déclaré le caractère réglementaire, sur saisine du Premier ministre. Il se prononce dans ce cas dans un délai d’un mois, ou de huit jours en cas d’urgence (décidée par le Gouvernement) (art. 24 et 25 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel). Ces décisions sont répertoriées « L » (comme « loi »).
Ex.Pour un exemple récent, voir la décision n° 2022-299 L du 7 juillet 2022, Nature juridique de certaines dispositions de l'article L. 732-2-1 du Code de la sécurité intérieure.
Ex.A l'issue des élections législatives de l'été 2024, le Nouveau Front Populaire a annoncé qu'en cas de nomination d'un Premier ministre issu de ses rangs, le recul de l'âge légal de départ à la retraite, issu de la réforme contestée de 2023, pourrait être « abrogé » par décret. Or, rappelons-le, le « véhicule normatif » de réalisation de cette réforme était une loi (très précisément la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023). La hiérarchie des normes interdit à un décret de modifier une loi. Pourtant, l'affirmation des députés de gauche n'est pas sans fondement juridique. Le Conseil constitutionnel juge en effet depuis longtemps que la fixation de la limite précise de l'âge de départ à la retraite (à 62, 64 ou 65 ans, par exemple) relève de la compétence du pouvoir réglementaire. Dit autrement, sur ce point précis de la fixation de l'âge de départ, la loi du 14 avril 2023 empiète sur la compétence du pouvoir réglementaire. Il serait donc juridiquement possible, pour un Gouvernement qui le souhaiterait, de passer par la procédure de déclassement de l'article 40 pour procéder ensuite à une abrogration du recul de l'âge de départ à la retraite par voie réglementaire.
C - Le Conseil constitutionnel, organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics
A l’origine, le Conseil constitutionnel a été principalement conçu par le constituant de 1958 comme un « organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics » (selon l’expression utilisée par le Conseil lui-même dans sa décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct). Sa fonction première était de sanctionner la loi qui, ne respectant pas la répartition des compétences normatives issues des dispositions combinées des articles 34 et 37, précédemment cités, excéderait son domaine et empièterait sur le domaine du règlement. Ce rôle de gardien du domaine réglementaire avait inspiré au professeur Jean Rivero une formule restée célèbre : le Conseil constitutionnel était le « Cerbère » du pouvoir exécutif !
Rq.Depuis fort longtemps, le Conseil constitutionnel s’est émancipé du rôle un peu étroit qu’avait conçu pour lui le constituant de 1958. V. sur ce point la leçon suivante, consacrée au Conseil constitutionnel.
Nous avons évoqué, plus haut, la façon dont le Conseil constitutionnel s’est acquitté de cette mission qui lui avait été confiée. Il a, la plupart du temps, interprété la Constitution de manière favorable au législateur et au domaine de la loi (on rappellera toutefois que le législateur est un organe complexe, composé du Parlement et du Gouvernement).Section 2 : La procédure législative ordinaire
Tx.Aux termes de l’article 24 de la Constitution, « Le Parlement vote la loi ».
Il ne faudrait pas déduire de cette formule que le Parlement dispose en matière législative d’une forme de monopole – ni même de prééminence. S’il est effectivement seul à voter la loi, la procédure d’élaboration de cette dernière fait intervenir massivement le Gouvernement, qui est présent à tous les stades de la « fabrication » d’une loi. Il n’y a rien là d’étonnant : rappelons que la Ve République est un régime parlementaire, régime qui peut se définir comme le « gouvernement [au sens de « conduite des affaires de l’État »] d’un [par un] cabinet responsable » (René Capitant). Or, la loi est le moyen de réalisation du programme gouvernemental (en France et hors période de cohabitation, du programme présidentiel, exécuté par le Gouvernement). Dans ces circonstances, il est normal que le Gouvernement maîtrise le processus de confection d’une loi.
Il existe, en droit français, plusieurs catégories de « lois » : lois constitutionnelles, lois référendaires, lois organiques, lois de finances, lois ordinaires, etc.
A ces différentes catégories de lois, correspondent différentes procédures d’élaboration. Nous avons par exemple déjà examiné, dans les leçons précédentes, la procédure d’élaboration d’une loi constitutionnelle (i. e. de révision de la Constitution) et des lois référendaires. Seule nous occupera, ici, la procédure législative de « droit commun », c’est-à-dire celle qui régit l’élaboration des lois ordinaires.
Avant de rentrer dans le détail de cette procédure, observons déjà qu’elle est, dans l’ensemble, assez largement maîtrisée par le Gouvernement. Le Comité Balladur, réuni à l’initiative du président Sarkozy, en 2007, avait notamment pour mission de réfléchir à un « renforcement du Parlement ». « Le Comité a unanimement estimé que cet aspect de sa mission revêtait un caractère fondamental, écrivait-il ainsi dans son rapport. Améliorer la fonction législative, desserrer l'étau du parlementarisme rationalisé, revaloriser la fonction parlementaire, doter l'opposition de droits garantis, renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement : tels sont, aux yeux du Comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions, et ce quelles que puissent être, en fonction de la personnalité des acteurs de la vie publique, l'interprétation et la pratique de la Constitution. »
S’inspirant des propositions formulées par le Comité Balladur, la révision constitutionnelle de 2008 a procédé à une réécriture de certaines dispositions constitutionnelles, afin de permettre un renforcement du Parlement dans l’exercice de la fonction législative. Nous verrons que malgré cette réforme bienvenue, le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes qu’avaient placées dans la révision ses inspirateurs. La meilleure preuve en est que quinze ans plus tard, le discours politique est toujours celui du renforcement du Parlement, et du « rééquilibrage » des institutions : on peut consulter, sur ce point, le récent rapport de Mme Yaël Braun-Pivet (l’actuelle présidente de l’Assemblée nationale), Plaidoyer pour un Parlement renforcé. 25 propositions concrètes pour rééquilibrer les pouvoirs, 2021.
Pour présenter la procédure d’élaboration d’une loi, le plus simple consiste à en suivre les différentes étapes (qui, par souci de clarté pédagogique, seront ici simplifiées). Pour un état des lieux complet, il est possible de consulter le document rédigé par la direction de la séance du Sénat sur ce sujet.
Cette procédure peut être scindée en trois phases principales. Après l’adoption du texte, une quatrième phase s’ouvre, qui relève partiellement de l’exercice de la fonction législative, et partiellement de l’exercice de la fonction exécutive.
Schéma de la procédure législative issu de LexisNexis Etudiants. Source : https://etudiant.lexisnexis.fr/la-procedure-legislative/
En savoir plus : Vidéo explicative simplifiée du « parcours de la loi » sur le site Internet de l’Assemblée nationale
§ 1. L’initiative
Tx.Article 39 de la Constitution :
« L'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement […] »
L’article 39 de la Constitution distribue la compétence d’initiative des lois (ordinaires) entre le Premier ministre et les parlementaires (députés et sénateurs). Il est arrivé, dans l’histoire constitutionnelle française, que les membres des assemblées parlementaires ne disposent pas de l’initiative en matière législative. Tel était notamment le cas dans le cadre de la Charte de 1814, qui réservait (par son article 16 : « Le roi propose la loi ») l’initiative législative au seul chef de l’État.
Rq.L’article 19 du même texte prévoyait toutefois que « Les chambres ont la faculté de supplier le roi de proposer une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que la loi contienne. »
Le texte d’initiative gouvernementale est qualifié de « projet de loi » ; le texte d’initiative parlementaire de « proposition de loi ». La distinction est importante car leur régime juridique est différent.
Les projets de loi sont obligatoirement soumis pour avis au Conseil d’État (art. 39), qui se prononce tant sur la constitutionnalité (respect de la répartition des compétences normatives entre les articles 34 et 37 de la Constitution mais aussi, de façon plus large, conformité à l’ensemble des dispositions constitutionnelles), que sur la conventionalité ou sur l’opportunité du texte. Si l’avis du Conseil d’État est obligatoire – dans le sens où le Gouvernement est contraint de le recueillir – il n’est nullement conforme : autrement dit, le Gouvernement n’est pas obligé de suivre les recommandations du Conseil d’État.
Accompagné de l’avis du Conseil d’État, le projet de loi est ensuite délibéré en Conseil des ministres.
Df.Le Conseil des ministres est le lieu de la délibération et de la décision des autorités exerçant le pouvoir exécutif. Il se réunit toutes les semaines et rassemble, sous la présidence du chef de l’État, les membres du Gouvernement.
Les propositions de lois ne sont quant à elles soumises pour avis au Conseil d’État que facultativement, et ce depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : « Dans les conditions prévues par la loi, le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose. » (art. 39).
Rq.En moyenne, sur la période 2007-2022, environ 60 % des lois adoptées sont issues de projets de loi, c'est-à-dire trouvent leur origine dans une initiative gouvernementale (n'ont pas été pris en compte, pour l'établissement de ces statistiques, les textes d'origine nécessairement gouvernementale, comme les lois autorisant la ratification de conventions internationales).
Statistiques de la XVe législature (2017-2022). Source : https://www2.assemblee-nationale.fr
La plupart du temps, au stade de son initiative, la loi a donc été « fabriquée » par les services compétents de tel ou tel ministère. Cette prévalence des textes d’origine gouvernementale s’explique par le fait que, comme cela a été rappelé plus haut, la loi est l’instrument de la réalisation du programme gouvernemental/présidentiel.
Divers instruments du parlementarisme rationalisé ont été inscrits dans la Constitution pour assurer au Gouvernement la prééminence dans l’exercice de la fonction législative. Les diverses irrecevabilités qui s’appliquent aux propositions de loi en sont un exemple.
Il a déjà été question, plus haut, de l’irrecevabilité de l’article 41 de la Constitution (protection du domaine du règlement autonome). On peut également évoquer un autre obstacle juridique très puissant à l’initiative parlementaire : il s’agit de l’irrecevabilité de l’article 40.
Tx.Article 40 de la Constitution :
« Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. »
Cette limitation de l’initiative parlementaire s’explique par la crainte de la démagogie électorale. En 1958, le constituant a souhaité éviter que députés et sénateurs cherchent à séduire leurs futurs électeurs en proposant des réformes trop coûteuses pour le budget de l’État (ainsi d’une baisse irréaliste de telle ou telle imposition).
Contrairement à l’irrecevabilité de l’article 41 de la Constitution, qui est simplement relative, l’irrecevabilité de l’article 40 est absolue.
Cette restriction très importante à l’initiative législative des membres du parlement n’a jamais été (formellement) assouplie, malgré les vives critiques régulièrement formulées par les parlementaires. En 2008, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République avait d’ailleurs préconisé (sans succès) l’assouplissement du mécanisme de l’irrecevabilité financière de façon à permettre la compensation de l’aggravation d’une charge publique par la diminution d’une autre charge. Lors des débats entourant la révision constitutionnelle, les deux présidents de la Commission des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, MM. Migaud et Arthuis, avaient pris la plume pour demander d’une seule voix, dans un grand quotidien national, la suppression du mécanisme de l’irrecevabilité financière. Ce fut en vain.
Ex.C'est justement l'irrecevabilité de l'article 40 qui, le 31 octobre 2024, a été opposée par la présidente de l'Assemblée nationale à la proposition de loi soutenue par les députés du Rassemblement national visant à abroger la réforme des retraites de 2023.
Interprétées strictement, les dispositions de l’article 40 de la Constitution auraient pu anéantir l’initiative législative parlementaire. Ce n’est pas cette voie qui fut choisie, ni par les organes de contrôle parlementaire de la recevabilité financière des propositions et amendements des membres des deux assemblées, ni par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, même si l’article 40 fait partie, comme l’observait Guy Carcassonne en 2013, des trente articles de la Constitution à n’avoir subi aucune modification formelle depuis 1958, la pratique institutionnelle a parfois conduit à son assouplissement, voire à son contournement. Il arrive ainsi que le Gouvernement reprenne à son compte un amendement (de la majorité) parlementaire qui a été (ou aurait pu être) déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Loin de représenter un détournement de procédure législative, ce procédé relève du fonctionnement régulier des institutions du régime parlementaire, et témoigne de l’unité non pas simplement organique, mais également programmatique entre le Gouvernement et sa majorité, caractéristique de l’agencement parlementaire des institutions.
Pour finir, observons que le chef de l’État ne dispose pas formellement de l’initiative en matière législative, l’article 39 de la Constitution, précité, la réservant expressément au Premier ministre et aux parlementaires. Mais la pratique présidentialiste des institutions se manifeste évidemment par l’initiative informelle du chef de l’État, inspirateur de la plupart des projets de loi importants qui permettent la mise en œuvre, la réalisation de son programme. Il en est ainsi, par exemple, de la réforme des retraites au printemps 2023, dont le président de la République n’a cessé de clamer, face à l’opposition parlementaire et à celle de la rue, qu’elle était l’une de ses promesses de campagne. Par ailleurs, le 30 janvier 2024, lors de sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale – dont le texte avait été « relu » par le chef de l’État – M. Attal n’a-t-il pas précisé que le cap du Gouvernement avait été fixé « sous l’autorité du président de la République » ?
La phase d’initiative s’achève par le dépôt du texte. Les projets de loi ordinaire, accompagnés de l’avis du Conseil d’État, sont déposés indifféremment devant l’une ou l’autre des deux chambres ; les propositions sont déposées au Sénat si un ou plusieurs sénateurs en ont pris l’initiative, ou à l’Assemblée si l’initiative appartient à un ou plusieurs députés.
Rq.Les projets de loi « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat » (art. 39).
Sur le plan formel, projets et propositions sont toujours présentés de la même façon : un exposé des motifs (c’est-à-dire des raisons qui justifient la réforme projetée) précède le dispositif, c’est-à-dire la partie normative de la loi, qui créé une (ou des) disposition(s) législative(s) nouvelle(s), ou en abroge ou supprime une (ou des) ancienne(s).
En savoir plus : Un exemple de texte : la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (extraits, actuellement en discussion au Parlement)
Par ailleurs, depuis la révision constitutionnelle de 2008, complétée par la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, « les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact ».
Tx.Aux termes de l’article 8 de la loi organique de 2009, « Les documents rendant compte de cette étude d'impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d'État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent.
Ces documents définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation.
- Ils exposent avec précision :l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration, et son impact sur l'ordre juridique interne ;
- l'état d'application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ;
- les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ;
- les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ;
- l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;
- l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public ;
- les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'Etat ;
- s'il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l'avis du Conseil économique, social et environnemental ;
- la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires. »
Cette nouvelle obligation pesant sur le Gouvernement, qui consiste à mesurer les effets de la loi projetée et de son insertion dans l’ordre juridique étatique, a été inspirée par les travaux du Comité Balladur (2008). Afin de lutter contre l’inflation législative et la baisse de la qualité de la loi, l’ambition était alors de permettre, en amont du dépôt, une meilleure préparation de la loi.
§ 2. L’examen en commission
Avant d’être discutés par l’ensemble des députés ou des sénateurs en séance plénière (publique), le projet ou la proposition doivent être examinés par l’une des commissions (en général, une commission permanente) de l’assemblée saisie en premier. La répartition des textes entre les commissions se fait en fonction de leurs compétences respectives.
Tx.Article 43 de la Constitution :
« Les projets et propositions de loi sont envoyés pour examen à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à huit dans chaque assemblée.
A la demande du Gouvernement ou de l'assemblée qui en est saisie, les projets ou propositions de loi sont envoyés pour examen à une commission spécialement désignée à cet effet. »
Df.Les commissions parlementaires sont des formations restreintes de chaque assemblée, qui sont chargées de préparer les travaux et débats en séance plénière. Leur composition reflète celle de leur chambre d’appartenance : les différents groupes politiques y sont représentés en fonction de leur importance respective au sein de chaque chambre.
Ce premier examen du texte (d’abord en commission puis en séance publique) s’appelle la « première lecture ».
Au sein de la commission saisie, un rapporteur est désigné, qui est chargé d’établir un rapport sur le projet ou la proposition. Il s’agit d’un document préparatoire, qui présente le contexte de la réforme projetée, l’état du droit avant son adoption, les effets escomptés, etc. Ce document sert de base de travail lors des discussions, tant en commission qu’en séance publique.
La révision constitutionnelle de 2008 a introduit des délais minimums d’examen des projets et propositions de lois en commission. L’instauration d’un délai minimal entre le dépôt d’un texte et sa discussion en séance publique en première lecture fait partie (comme l’obligation pour le Gouvernement de réaliser systématiquement des études d’impact pour les projets de lois) des réformes réalisées dans le but d’améliorer le travail parlementaire d’élaboration de la loi – avec pour ligne de mire le « renforcement » du Parlement, selon l’expression consacrée.
Le Comité Balladur préconisait (en première lecture) l’instauration d’un délai minimal de deux mois entre le dépôt d’un texte et son examen en séance devant la première assemblée saisie, et d’un mois devant la seconde assemblée. Ramené à un mois et quinze jours par le projet de loi constitutionnelle (article 16), ce délai fut porté à six et quatre semaines à l’issue de la discussion au Congrès.
Tx.Article 42 de la Constitution :
« […] La discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de quatre semaines à compter de sa transmission.
L'alinéa précédent ne s'applique pas si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l'article 45. »
La rédaction de l’article 42 ne garantit évidemment pas que les commissions compétentes « planchent » effectivement sur le texte pendant six puis quatre semaines. Mais elle contraint le Gouvernement à leur laisser le temps de le faire.
Ces délais souffrent pourtant de quelques exceptions : aux termes de l’article 42, il est possible de s’en affranchir lorsque le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.
Instrument du parlementarisme rationalisé, la procédure « d’urgence » (devenue, en 2008, « accélérée ») faisait partie de l’arsenal mis à la disposition de l’exécutif par le constituant de 1958 dans le cadre de la procédure d’élaboration des lois. Son objet était de permettre au Gouvernement-législateur d’abréger la discussion parlementaire d’un texte afin de faire adopter ses projets de loi dans un délai raisonnable, sans avoir à subir le « parcours du combattant » qui lui était imposé par les parlementaires sous la IVe République (Jean-Luc Warsmann, Rapport n° 892 fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, 15 mai 2008, p. 351).
Le régime de cette procédure est défini à l’article 45 de la Constitution et, à titre complémentaire, dans les règlements des deux assemblées. La procédure accélérée est engagée, en application de l’article 45, par le Gouvernement.
Cet engagement a deux conséquences : d’une part, il permet de déroger aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 42 de la Constitution, qui instaurent, en première lecture, un délai minimal entre le dépôt d’un texte devant l’une des deux chambres du Parlement et son examen en séance publique ; d’autre part, il permet au Premier ministre d’abréger le cours de la « navette » en convoquant une commission mixte paritaire après une seule lecture par chacune des deux assemblées (au lieu de deux). Observons que le déclenchement de la procédure accélérée ne signifie pas que le temps d’examen du projet ou de la proposition de loi en commission est effectivement réduit et que la navette est effectivement écourtée. Ce déclenchement a pour seul effet de permettre au Gouvernement de s’affranchir des règles de la procédure législative ordinaire en réduisant le temps d’examen du texte en commission et/ou en séance publique, ce qu’il ne fait pas de façon systématique.
En réalité, l’usage révèle que, contrairement à l’esprit de l’article 45 de la Constitution, l’exception (c’est-à-dire la procédure accélérée) est devenue la règle, privant totalement d’effectivité les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 42 de la Constitution (sur les délais minimums d’examen des textes en commission). En quinze ans, la tendance à l’engagement de la procédure n’a cessé de s’aggraver : les statistiques révèlent qu’elle est aujourd’hui le principe en matière d’élaboration de la loi. Contraint de composer avec « l'impératif de l'instant » (Robert Catherine et Guy Thuillier, Introduction à une philosophie de l’administration, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1969, p. 48), l’exécutif ne s’en cache même pas ; il assume au contraire l’accélération du temps législatif, comme s’il s’agissait d’un progrès. En 2017, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, M. Macron avait promis de faire, en cas de victoire, de la « procédure d’urgence [sic] la procédure par défaut d’examen des textes législatifs afin d’accélérer le travail parlementaire » (programme du candidat, p. 27). Dans la rubrique « Mise en œuvre du programme présidentiel » - « Vie publique et politique » du site Internet d’En Marche ! la promesse d’« appliquer par défaut la procédure accélérée devant le Parlement » était indiquée comme réalisée sous le précédent quinquennat.
L’instauration des délais planchers d’examen des textes en commission s’expliquait également par un autre aspect, très important, de la réforme de 2008. Le Comité Balladur, dans son rapport de 2008, proposait de faire des commissions le « pivot du travail parlementaire ».
En savoir plus : Extrait du rapport du Comité Balladur (p. 47 s.)
A cet effet, l’article 42 de la Constitution a été profondément remanié en 2008 sur un autre point. Cet article prévoyait à l’origine que « La discussion des projets de loi porte, devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement », afin – toujours avec le même objectif de rationalisation du parlementarisme – de préserver le texte gouvernemental. En commission, les parlementaires pouvaient certes adopter des amendements, mais le texte n’était pas modifié ; les amendements adoptés en commission devaient à nouveau être discutés et adoptés en séance publique.
Tx.Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’article 42 prévoit désormais que « La discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l'article 43 […] ». Cette réforme permet de valoriser le travail en commission mais aussi de gagner du temps : désormais, le texte discuté en séance publique sera le texte tel qu’adopté par la commission saisie.
§ 3. L’examen en séance publique
Une fois le texte discuté et éventuellement adopté en commission – ce n’est pas toujours le cas : le texte peut ne pas être examiné, ou être rejeté – il doit être examiné en séance publique. La séance publique (ou plénière) désigne la formation permettant juridiquement aux députés et aux sénateurs d’exercer les compétences qui leur sont attribuées par la Constitution. Encore faut-il, pour cela, qu’il soit inscrit à l’ordre du jour de la chambre concernée.
La fixation de l’ordre du jour des assemblées parlementaires est une question cruciale. Un projet ou (plus probablement) une proposition, même adoptés à l’unanimité par la commission saisie, peuvent ne jamais aboutir s’ils ne sont pas inscrits à l’ordre du jour pour être discutés. L’autorité habilitée à fixer l’agenda parlementaire décide donc aussi, in fine, quels seront les projets ou propositions susceptibles d’être adoptés et de devenir des lois. Sous les IIIe et IVe Républiques, les chambres étaient maîtresses de leur agenda. En 1958, le constituant a souhaité confier l’organisation des travaux parlementaires au Gouvernement, lui assurant ainsi la maîtrise de l’activité législative. Dans sa rédaction initiale, l’article 48 de la Constitution prévoyait ainsi que le Gouvernement était maître de l’ordre du jour des assemblées parlementaires.
Tx.Article 48 de la Constitution (dans sa rédaction initiale) :
« L'ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi déposés par le Gouvernement et des propositions de loi acceptées par lui.
Une séance par semaine est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. »
Il était donc loisible à l’exécutif – sous réserve du respect de l’alinéa 2 de l’article 48 – de fixer librement l’agenda des chambres, en donnant la priorité aux textes qui avaient sa faveur – à commencer par ses projets de loi.
La rigueur initiale de cette règle a été atténuée par la révision du 4 août 1995 qui a accordé aux parlementaires la priorité dans la fixation de l’ordre du jour d’une séance par mois :
Tx.« l'ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi déposés par le Gouvernement et des propositions de loi acceptées par lui. Une séance par semaine au moins est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. Une séance par mois est réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée. »
En 2008, l’une des ambitions du Comité Balladur a été de rendre aux assemblées la maîtrise de leurs travaux.
En savoir plus : Extrait du Rapport du Comité Balladur (2008, p. 31 s.)
C’est pourquoi le Comité a proposé que la fixation de l’ordre du jour soit partagée équitablement entre le Gouvernement et le Parlement. Il a également suggéré d’ouvrir une séance par mois à l’examen prioritaire des propositions de lois proposées par les groupes minoritaires ou d’opposition.
S’inspirant des travaux du Comité Balladur, le pouvoir de révision a procédé, en 2008, à une réécriture profonde de l’article 48.
Tx.Article 48 de la Constitution :
« Sans préjudice de l'application des trois derniers alinéas de l'article 28, l'ordre du jour est fixé par chaque assemblée.
Deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité, et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, à l'examen des textes et aux débats dont il demande l'inscription à l'ordre du jour.
En outre, l'examen des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale et, sous réserve des dispositions de l'alinéa suivant, des textes transmis par l'autre assemblée depuis six semaines au moins, des projets relatifs aux états de crise et des demandes d'autorisation visées à l'article 35 est, à la demande du Gouvernement, inscrit à l'ordre du jour par priorité.
Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l'ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques.
Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l'initiative des groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'à celle des groupes minoritaires.
Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l'article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. »
En matière de fixation de l’ordre du jour, le principe a donc été renversé par rapport à 1958 : la philosophie générale de cet article a été bouleversée, au moins sur le papier (ce qui est déjà important). Désormais, les chambres sont habilitées à fixer leur ordre du jour – à condition de respecter le nombre de jours de séance fixé par l’article 28 de la Constitution.
Ce principe souffre quelques exceptions importantes. Le Gouvernement conserve ainsi la faculté de déterminer prioritairement la moitié de l’ordre du jour de chaque chambre. En pratique, si l’on compte les dérogations applicables aux textes financiers – dont l’examen occupe une grosse partie de l’agenda parlementaire de l’automne – le Gouvernement reste encore assez largement maître du calendrier des travaux parlementaires : comme le note François Bouton, « en 2020-2021, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, les semaines gouvernementales ont concentré près de 70 % du temps de séance » (« Ordre du jour », in Damien Connil, Priscilla Jensel-Monge, Audrey de Montis, Dictionnaire encyclopédique du Parlement, Bruxelles, Bruylant, 2023, p. 772).
Si le texte est inscrit à l’ordre du jour, il pourra être examiné en séance publique.
Cet examen est divisé en plusieurs phases : d’abord, l’examen général qui permet de présenter le texte. S’il s’agit d’un projet, le représentant du Gouvernement prend d’abord la parole, pour exposer les motifs de la réforme projetée. La parole est ensuite donnée au rapporteur de la commission. S’il s’agit d’une proposition, c’est d’abord le rapporteur qui prend la parole. Ensuite, chacun des groupes politiques peut s’exprimer sur le texte. Le temps de parole des orateurs est limité.
Une fois la discussion générale achevée, s’ouvre la phase d’examen détaillé, article par article. Chaque article et éventuellement chaque amendement doit être voté. Une fois l’ensemble des articles examinés, un vote est organisé sur l’ensemble du texte.
La discussion parlementaire prend évidemment du temps ; c’est justement ce temps long qui doit permettre à la délibération de se dérouler dans de bonnes conditions. Il n’en reste pas moins que le Gouvernement, soumis comme cela a été souligné plus haut à l’impératif de l’instant, souhaite la plupart du temps hâter la procédure législative. Il existe ainsi des procédures qui permettent d’accélérer l’examen des textes (ainsi de la procédure accélérée, déjà mentionnée), ou de l’abréger.
A l’issu de son examen en séance publique, si le texte n’est pas adopté, la procédure s’achève ; s’il est adopté, il est transmis pour examen (en première lecture) à l’autre chambre.
Tx.Aux termes de l’article 45 de la Constitution : « Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique. Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »
Dans la seconde chambre saisie, la première lecture se déroule selon les mêmes modalités que la première lecture dans la première chambre : examen en commission, inscription à l’ordre du jour, discussion en séance publique. La seconde assemblée saisie peut souhaiter modifier le texte (elle peut aussi le rejeter ; dans ce cas, la procédure s’achève). Si une version modifiée est adoptée, le texte modifié est transmis à la première chambre, pour un nouvel examen (deuxième lecture). Nouvel examen en commission, nouveau débat en séance publique, etc. La navette (c’est-à-dire les allers-retours du texte en discussion entre les deux chambres du Parlement) se poursuit ainsi tant que les deux chambres n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un texte identique (ou que le texte n’est pas abandonné, ce qui est toujours une option). Elle peut toutefois être interrompue par le Gouvernement (ou des présidents des assemblées), en application de l’article 45 de la Constitution.
Tx.Article 45 de la Constitution :
« Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique. Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis.
Lorsque, par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée ou, si le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée sans que les Conférences des présidents s'y soient conjointement opposées, après une seule lecture par chacune d'entre elles, le Premier ministre ou, pour une proposition de loi, les présidents des deux assemblées agissant conjointement, ont la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion.
Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement.
Si la commission mixte ne parvient pas à l'adoption d'un texte commun ou si ce texte n'est pas adopté dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l'Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l'Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat. »
Si le désaccord persiste après deux lectures par chaque assemblée (ou une seule lecture en cas d’engagement de la procédure accélérée), le Gouvernement (ou, pour une proposition de loi, les présidents des deux assemblées) peut, en application de l’article 45, interrompre la navette en convoquant une commission mixte paritaire (CMP).
La commission mixte paritaire est composée de représentants des deux chambres (sept députés et sept sénateurs). Sa fonction consiste à trouver un accord entre les deux chambres sur les dispositions d’un texte encore en discussion. Si la CMP propose un texte, ce dernier est soumis pour un nouveau vote aux deux assemblées (en général, ce vote est acquis dans la mesure où le travail de conciliation a été mené au sein de la CMP). En cas d’échec de la CMP, la navette reprend ; le Gouvernement peut aussi demander à l’Assemblée nationale – dont la légitimité démocratique est supérieure à celle du Sénat, dans la mesure où elle est élue au suffrage universel direct – de statuer de façon définitive.
D’après les statistiques établies par les services du Sénat, depuis 1959, 70 % des textes ont été adoptés à l’issue de la navette (sans convocation d’une CMP) ; 20 % résultent d’un accord en CMP ; 10 % ont été adoptés par l’Assemblée nationale (dernier mot) après échec de la CMP.
En savoir plus : Sur le fonctionnement de la CMP
§ 4. Après l’adoption du projet ou de la proposition de loi
Une fois le texte adopté il doit, afin de produire ses effets juridiques, faire l’objet d’une promulgation et être publié au Journal Officiel. Promulgation et publication relèvent de la fonction exécutive ; en revanche, à l’occasion de la promulgation, le président de la République est habilité à exercer une prérogative qui se rattache à la fonction législative.
Df.La promulgation désigne l’opération par laquelle l’autorité compétente « atteste que la loi a été régulièrement délibérée et votée et donne l’ordre de l’exécuter » (Armel Le Divellec, Michel de Villiers, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey).
Aux termes de l’article 10 de la Constitution, c’est le président de la République qui est habilité à promulguer la loi.
Tx.Article 10 de la Constitution :
« Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée.
Il peut, avant l'expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée. »
Le président a quinze jours, après la transmission du texte adopté au Gouvernement, pour procéder à la promulgation qui est un pouvoir lié : cela signifie que le président ne peut, en principe, s’y opposer (la question s’est récemment posée au sujet de la promulgation du projet loi immigration, en décembre 2023). Toutefois, le président de la République est habilité, par ce même article 10, à demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou d’une partie de ses dispositions. Cette prérogative présidentielle – rarement utilisée notamment parce que dans le contexte du présidentialisme majoritaire, les lois votées mettent en général en application le programme présidentiel – s’apparente à une sorte de veto suspensif.
C’est pendant ce même délai de quinze jours que la loi adoptée peut faire l’objet d’une contestation devant le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 61 de la Constitution (contrôle a priori). Le Conseil constitutionnel est alors chargé de se prononcer sur la conformité de la loi à la Constitution. La saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation.
Tx.Article 61 de la Constitution :
« Les lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation. »
Sur les modalités du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, voir la leçon suivante (leçon 9).
Si le Conseil constitutionnel n’est pas saisi, ou une fois sa décision rendue, s’il est saisi, le président de la République promulgue la loi (si celle-ci n'a pas été censurée par le Conseil constitutionnel, naturellement). Sa publication au Journal Officiel la rend exécutoire.Section 3 : La « loi administrative » (Yves Gaudemet) : la législation par ordonnance
Le Parlement n’est pas le seul lieu « d’élaboration » de la loi. Celle-ci peut également être adoptée par le peuple, dans le cadre d’un référendum. Par ailleurs, en cas d’activation de l’article 16 de la Constitution (pouvoirs de crise du président de la République), le chef de l’État peut édicter des normes de forme législative. La Constitution prévoit également, dans son article 38, une forme spécifique de « législation » : la « législation » par ordonnance. Il en sera brièvement question ici, en raison de l’importance de ce phénomène dans la pratique institutionnelle.
L’article 38 de la Constitution habilite le Gouvernement à se faire « législateur » sans le concours du Parlement (nous avons vu que la loi était en principe le fruit de la collaboration du Parlement et du Gouvernement), c’est-à-dire à élaborer des actes qui ont, dans un premier temps, une nature règlementaire, mais qui ont vocation à acquérir une valeur législative.
Le constituant de 1958 (c’est, là encore, une illustration de la rationalisation du parlementarisme) a pris le contrepied du constituant de 1946 en constitutionnalisant l’ancienne pratique des décrets-lois, apparue spontanément sous la IIIe République – pendant la Grande guerre - puis interdite (sans succès) par l’article 13 de la Constitution de la IVe.
Tx.Article 38 de la Constitution :
« Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. »
L’article 38 permet au Parlement d’habiliter le Gouvernement (grâce à une loi d’habilitation), à prendre pendant une durée limitée (fixée par la loi d’habilitation) des mesures qui sont du domaine de la loi, c’est-à-dire qui relèvent de l’article 34 de la Constitution. Les actes élaborés sur le fondement de l’article 38 sont des ordonnances ; ces ordonnances constituent des actes règlementaires (elles peuvent, à ce titre, faire l’objet d’un recours contentieux devant le juge administratif). En cas de ratification par le Parlement, elles acquièrent valeur législative.
Processus d’élaboration d’une ordonnance. Source : https://www.gouvernement.fr
A l’origine, l’instrument des ordonnances était conçu pour être utilisé de manière exceptionnelle, notamment en cas d’urgence. D’ailleurs, entre 1960 et 2000, soit pendant les quarante premières années d’application de notre Constitution, seules 35 lois d’habilitation ont été adoptées (pour un total de 245 ordonnances). Depuis le début des années 2000, le phénomène de la « législation » par ordonnance a pris une ampleur considérable et le dessaisissement du Parlement – certes consenti – devient monnaie courante. Comment expliquer cette situation ?
Source : Tableau issu de l’étude de la Direction de la séance du Sénat sur la période 2007-2022.
Pressé par le Gouvernement, le Parlement se décharge en général de sa fonction de faire la loi en raison du caractère moins chronophage de la procédure des ordonnances. En moyenne, entre le dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi et son adoption par le Parlement, il faut compter six à sept mois. Une ordonnance peut être rédigée en à peine une semaine. Il n’est pas rare de voir ainsi les ordonnances vantées pour la célérité de leur élaboration, à tel point qu’elles sont promues au rang d’instrument d’un « meilleur gouvernement ». Ainsi, lors de sa première campagne pour les élections présidentielles en 2016-2017, M. Macron avait-il promis qu’en cas de victoire, il procéderait à une modification du code du travail par ordonnance. Les ordonnances « Macron » ont effectivement permis une modification rapide et assez peu médiatisée (les débats au Parlement sont publics, le travail au sein des ministères ne l’est pas…) du droit du travail.
En savoir plus : Sur le portail du Gouvernement, l’exécutif vante les mérites de la législation par ordonnances
Récemment, la crise sanitaire liée au covid et la pression de l’urgence ont conduit à l’exacerbation de la « législation » par ordonnances. Les statistiques établies par le Sénat à l’issue du premier quinquennat de M. Macron révèlent que 394 habilitations à légiférer par voie d’ordonnances ont été accordées au Gouvernement sur le fondement de l’article 38 de la Constitution (dont 94 étaient liées à la crise sanitaire) ; 352 ordonnances ont été publiées (et 106 ont été ratifiées). Ces chiffres peuvent être utilement comparés à ceux des deux quinquennats précédents. Entre 2012 et 2017, 337 habilitations avaient été accordées, 271 ordonnances avaient été publiées ; 166 avaient été ratifiées. Enfin, entre 2007 et 2012, on dénombrait 180 habilitations, 152 ordonnances publiées et 121 ordonnances ratifiées.
Ces statistiques révèlent l’explosion du nombre d’ordonnances en l’espace de dix ans, avec une augmentation de près de 100 % du nombre d’habilitations accordées et de 115 % des ordonnances publiées entre le quinquennat de M. Sarkozy et celui de M. Macron (mais la tendance inflationniste existait déjà sous le quinquennat de M. Hollande, en rupture sur ce point avec tous les quinquennats précédents). Il faut enfin noter que pendant le premier quinquennat de M. Macron, 56% des textes intervenant dans le domaine de la loi étaient des ordonnances…
Source : Tableau issu de l’étude de la Direction de la séance du Sénat sur la période 2007-2022.
Face au risque de dépossession du Parlement, le Sénat a mis en place un suivi des ordonnances, que l’on peut consulter ici.
Suivi des ordonnances. Source : https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/controle-et-evaluation/suivi-des-ordonnances.html
Cette dépossession pose des difficultés démocratiques mais aussi pratiques majeures. Car comme l’écrivait le professeur Guy Carcassonne, « pour faire de bonnes lois, on n’a pas encore inventé mieux que le Parlement ».
Rq.On remarquera que pour le quinquennat actuel, le nombre d’habilitations accordées se situe très en-deçà des chiffres des quinquennats précédents : 34 habilitations en près de 3 ans laissent présager (si le rythme actuel se maintient) une centaine d’habilitations pour le quinquennat en cours (à comparer aux 394 habilitations du quinquennat 2017-2022). Cet effondrement s’explique probablement par la configuration spécifique de la XVIe et XVIIe législatures, c’est-à-dire par l’absence de majorité absolue de soutien du président et de sa politique à l’Assemblée nationale. Pour le Gouvernement, il est évidemment moins aisé d’obtenir du Parlement qu’il se dépossède dans ce contexte…